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Pourquoi pas un moteur électrique ?

par Quentin Mayerat

Chez Alphena Yachts, ce day-boat ultra-moderne de 8,50 mètres est équipé d’un moteur électrique. © Bruno Mottet

On sent comme un frémissement. Même si le moteur électrique est encore rare à équiper les voiliers en Suisse, notamment en Romandie, l’intérêt des navigateurs est de plus en plus titillé par ce mode de propulsion propre, silencieux et inodore. Le souci écologique est bien sûr passé par là, encouragé par des règlementations de plus en plus strictes touchant les moteurs thermiques. Le mode tout électrique est, de plus, bien adapté pour les sorties lacustres où le moteur est avant tout un appoint, pour sortir et rentrer au port.

Si frémissement il y a, il a été notamment constaté ce printemps lors d’une journée d’essais de bateaux à propulsion exclusivement électrique proposée par le chantier naval Reymond, à Tolochenaz. Une centaine de personnes de la région se sont pressées au Port du Petit-Bois (Morges) pour essayer quatre bateaux, à voile ou à moteur, équipés de moteurs électriques hors-bord et in-bord. Un bateau norvégien capable d’accueillir dix personnes, le Polar 20’ Electro, a particulièrement séduit avec son moteur in-bord. Installé sous le plancher, le moteur et ses quatre batteries AGM assurent une autonomie de 5 à 7 heures, à la vitesse moyenne de 5 nœuds. Pour la recharge, une simple prise 220 V et une nuit suffisent.

Approche différente pour les trois autres bateaux – un voilier outre-mer 33 alimenté uniquement par panneaux solaires, un Dory de 4,50 mètres voile-aviron conçu et construit au chantier et un Boesch junior – tous trois équipés d’un hors-bord électrique Torqeedo. Puissants et fiables, les moteurs hors-bords sont particulièrement adaptés à des unités de tailles petite et moyenne. Certains d’entre eux sont équipés d’une batterie amovible, ce qui rend la recharge aisée puisqu’il suffit de l’emporter avec soi en fin de journée.

« Les moteurs électriques commencent vraiment à séduire la clientèle romande, se réjouit Simone Reymond du chantier naval. 2011 semble constituer un palier, puisque nous avons déjà vendu, en six mois, plus de moteurs hors-bords que pour toute l’année 2010. »

« Les moteurs électriques commencent vraiment à séduire la clientèle romande », souligne Simone Reymond du chantier naval éponyme. Ici, le Polar 20’ Electro © DR

Deux points faibles

Toutefois, et en dépit de progrès techniques constants, le moteur électrique est-il véritablement une alternative à la propulsion thermique ? Spécialiste du domaine, Eric Tauxe de ETmarine admet qu’il y a encore des progrès à faire : « Ce ne sont pas les moteurs qui sont en cause, ils sont parfaitement au point. Non, les limitations résident ailleurs, soit dans la difficulté de stocker l’énergie et le temps de recharge. »

Les batteries, tel est le nœud du problème. Mais Eric Tauxe est convaincu que des avancées techniques sont à portée de main. Pour l’heure, il équipe les bateaux dont il s’occupe de batteries AGM. « Elles sont totalement étanches, ne coulent pas et ne sont pas sensibles à la gîte, précise-t-il. Les lithium-ion sont une solution de rechange, mais elles sont encore chères et le lithium peut prendre feu au contact de l’eau. En revanche, elles sont plus légères – 14 kilos pour une puissance de 1KW/h contre 22 pour les AGM, alors que le diesel se contente lui de 78 grammes pour 1KW/h. De ce point de vue, l’avantage du diesel apparaît encore évident, mais il est contrebalancé, entres autres agréments, par le rendement et le couple très supérieur du moteur électrique. »

Le temps de charge est l’autre point critique. Eric Tauxe s’est livré à une petite comparaison : « S’il faut 10 minutes pour remplir dix litres de diesel, il faut 52 heures pour recharger l’équivalent d’énergie dans les batteries. La solution viendra peut-être des supercondensateurs qui permettent une charge et une décharge très rapide, une technologie déjà utilisée sur les voitures hybrides. Quant aux panneaux solaires producteurs d’électricité, leurs performances peuvent croître rapidement, tant la marge de manœuvre est grande. »

© ET Marine

Le confort d’un générateur

Sur sa Buse, un monocoque en bois moulé à cabine de 11,50 mètres, construit en 2003, l’architecte naval Arnaud de Marignac a testé avec succès une solution permettant de gagner en autonomie, celle du générateur qui alimente les quatre batteries (200 A/h de 12V montées en série) branchées sur son saildrive électrique. « Je suis très satisfait de mon choix, même si le bateau (5,5 tonnes) est un peu sous-motorisé avec une puissance de 4,3 KW. Il faudrait compter 1 KW par tonne. En revanche, l’énorme couple du moteur permet de s’arracher facilement d’un quai ou de stopper net. Un plus en matière de sécurité dans les manœuvres de port, auquel il faut ajouter un grand confort à bord puisque le bateau est équipé d’un frigo, d’un micro-onde, d’un pilote automatique et de l’électronique, sans compter l’éclairage. Tout cela fonctionne à merveille, mais il convient d’être très attentif au montage de l’installation qui ne tolère aucune approximation. »

Arnaud de Marignac, qui navigue souvent en solitaire, affirme n’avoir jamais été pris de court, même lorsqu’il a dû affronter un orage avec 50 nœuds de vent : « J’avoue que, dans ce cas extrême, j’ai été contraint de faire des bords carrés pour étaler la bourrasque, mais quel moteur aurait pu faire face ? Pour le reste, le générateur se met en marche automatiquement à pleine charge, ce qui pollue beaucoup moins, pour des cycles de 12 ou 40 minutes. La consommation moyenne constatée est de l’ordre de 0,8 litre/heure, soit environ un plein tous les deux ans ! »

 

La conception intégrée en série

Du côté des chantiers navals, rares sont encore ceux qui installent en standard des moteurs électriques. C’est le cas chez Alphena Yachts, créé en 2007 à Lorient. Le chantier propose un day-boat ultra-moderne de 8,50 mètres – l’Alphena One –  équipé de cette façon. « C’est toute une philosophie, indique Bruno Mottet le président du chantier dont Loïck Peyron est partenaire. Nous avons constaté qu’un moteur thermique est utilisé, en moyenne, une quinzaine d’heures par an. Le moteur électrique, monté sur pod, a été intégré dès le départ dans la conception du bateau. Il ne nécessite aucun entretien, ne fait pas de bruit et est inodore. Pour le recharger, une prise de quai à laquelle peut s’ajouter, pour ceux qui le souhaitent, une pile à combustible fonctionnant à l’éthanol. Un gros travail a également été fait sur la carène pour réduire la consommation. » Les performances des batteries sont ainsi plus qu’honnêtes, soit six heures d’autonomie à 4,5-5 nœuds.

Sur les 14 bateaux construits, quatre Alphena One ont été vendus en Suisse (Léman, Bienne et Constance). L’Alphena Three (12 mètres) verra bientôt le jour. Il sera construit en alu recyclé et équipé d’un moteur électrique alimenté par un hydro-générateur. La carène s’inspire des coques semi-swath avec un bulbe à l’avant afin de faciliter le passage dans la vague. « Une question de philosophie », répète à l’envi Bruno Mottet.

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