Quelques heures avant l’arrivée de la dernière étape du Volvo Ocean Race (VOR) 2017/18, les jeux n’étaient toujours pas faits. Trois équipages pouvaient encore prétendre à victoire et se livraient une bataille d’une intensité inédite. La course autour du monde en équipage la plus haletante de tous les temps a été marquée par de grands moments sportifs et tragédies humaines. Si l’avenir de la course appartient aux IMOCA 60, de nombreuses questions restent ouvertes.
« À ce jour, aucun navigateur ne s’est retrouvé dans une telle situation.
Les huit derniers mois n’ont plus aucune signification. Maintenant, c’est tout ou rien. » C’est avec ces propos détonants que Carolijn Brouwer, membre de Dongfeng et triple participante à la VOR, a résumé la situation avant le départ de la dernière étape entre Göteborg et La Haye. À juste titre : moins d’un point séparait les trois meilleurs équipages ! La course autour du monde qui, en onze étapes et 45 000 milles, traverse tous les océans de la planète, s’est jouée dans l’ultime étape. Du jamais vu ! Tout aussi incroyable était le sprint final avant l’arrivée à La Haye. Tandis que Mapfre et Brunel se livraient un duel digne d’un match race un peu à l’écart de la flotte, Dongfeng a choisi une option pour le moins surprenante : longer la zone interdite à la navigation le long des côtes allemandes et néerlandaises. À en croire la plupart des observateurs, cette décision était vouée à l’échec, mais c’était sans compter avec la détermination de l’équipage majoritairement français. Peu à peu, Dongfeng a gagné du terrain. Sorti de nulle part, le bateau chinois skippé par Charles Caudrelier a pris les commandes pour finalement décrocher la victoire après avoir terminé troisième de la dernière édition. Acclamée par ses compatriotes, son équipière hollandaise Carolijn Brouwer devenait ainsi la première femme à remporter la VOR (elle a été la seule équipière à prendre part à toutes les étapes N.D.L.R.) de Marie Riou. Du côté suisse, la Genevoise Justine Mettraux a également participé à deux étapes comme régleuse de grand-voile à bord du bateau vainqueur. Grande déception par contre du côté du Team Brunel. Après sa deuxième place lors de l’édition 2014/15, l’équipe néerlandaise menée par Bouwe Bekking avait rêvé d’une victoire à domicile. Elle a finalement dû laisser filer Mapfre pour terminer troisième. Bekking était déjà à sa huitième participation, sans pourtant réussir à la remporter.
Des tragédies et des exploits
Les quelques jours à La Haye étaient l’occasion de se remémorer les nombreuses histoires spectaculaires et émouvantes qui ont marqué cette édition. On ne pouvait passer sous silence les accidents aux issues fatales. Un pêcheur est mort dans une collision avec Vestas au large de Hong Kong. Le navigateur britannique John Fisher du Team Sun Hung Kai/ Scallywag est passé par-dessus bord et n’a pas été retrouvé malgré d’intenses recherches. Une troisième personne est décédée au large de La Haye, lors d’une collision entre deux bateaux spectateurs. On peut comprendre que la Brésilienne Martine Grael, médaillée d’or à Rio et fille de Torben Grael, quintuple médaillé olympique, ait préféré ne pas s’attarder sur ces drames et aborder d’autres sujets, notamment le nouveau record de 24 heures établi par elle et son Team AkzoNobel à 601,63 milles. L’ancien détenteur du record n’était autre que son illustre père. « Tu pourras l’appeler « Captain Slow», a lâché Simeon Tienpont, le skipper d’AkzoNobel, sourire en coin. Et Martine Grael de rétorquer : « Mon père est heureux que le record reste dans la famille et il m’a beaucoup aidé avec ses conseils avisés. » Finalement, la jeune navigatrice s’est résolue malgré tout à commenter le drame qui a secoué la course, à savoir la mort de John Fisher. Très lucide, elle a expliqué : « C’est une tragédie, mais nous pratiquons un sport à haut risque. Nous savons tous qu’une telle chose peut arriver. Chacun doit trouver un moyen de gérer cet événement et essayer de continuer. » Continuer était aussi la devise du Team Vestas 11th Hour Racing. Après son échouage sur un récif lors de l’édition 2014/15 qui leur avait attiré une célébrité dont ils se seraient bien privés, ils ont cassé leur mât lors d’une collision au large de Hong Kong. Mais la façon dont ils ont construit un gréement de fortune sur les îles Falkland à l’aide d’une tige d’aluminium trouvée sur place pour ensuite arriver à temps à Itajaí au Brésil leur a valu beaucoup de respect. Une belle preuve de persévérance selon la devise « Never Give Up » qui semblait être le mot d’ordre de l’équipage !
Au revoir Volvo, bienvenue IMOCA
En plus de la joie, de la mélancolie et des souvenirs, une certaine insécurité doublée de sérieuses préoccupations se faisait sentir à La Haye. Après le bouclage de cette régate autour du monde, les navigateurs et les organisateurs n’étaient pas les seuls à se poser la question de l’après-course. Cette fois, les enjeux sont plus grands, c’est l’avenir de la course tout court qui est en jeu. Au printemps dernier, l’organisateur Volvo avait en effet annoncé son retrait après 20 ans d’engagement. Volvo a cédé ses droits à Atlantic Ocean Racing, dont les propriétaires ont repris les rênes en novembre 2017 déjà. À La Haye, ils ont annoncé ce que la rumeur avait pressenti depuis un certain temps : la prochaine Ocean Race de 2021 se déroulera sur des IMOCA 60 avec des équipages de cinq personnes. L’alliance avec les responsables de cette série qui sert aussi de support au célèbre Vendée Globe doit permettre de créer des synergies et garantir un grand nombre de participants. Du coup, le concept de la monotypie auquel nous devons les courses serrées des deux dernières éditions va passer aux oubliettes. Les constructeurs seront donc de nouveau coresponsables du succès des équipages. Pour l’architecte naval Juan Kouyoumdjian, cette évolution est justifiée : « La voile n’est pas seulement une question d’équipage, mais aussi d’équipement », assène-t-il.
Des doutes et des questions ouvertes
Charles Caudrelier, le barreur du bateau vainqueur, se réjouit également du partenariat avec les monocoques à foil : « Ce sont des bateaux incroyables. J’apprécie de pouvoir naviguer sur ces supports et je crois que les spectateurs seront séduits. » Chris Nicholson qui a déjà six participations à la VOR à son actif ne partage pas son avis. Il craint que les cockpits couverts ne brident l’action. Et il émet de sérieux doutes quant à la robustesse des IMOCA 60 actuels : « Si nous n’évitons pas les tempêtes et si cinq équipiers poussent un IMOCA comme ils l’ont fait avec le VOR 65, les IMOCA subiront des avaries en un rien de temps. » Reste à savoir ce qu’il adviendra de la règle mixte. Elle a permis à un grand nombre de femmes de participer à la course et d’acquérir de l’expérience et leurs collègues masculins ne tarissent pas d’éloges à ce sujet. Avec le nombre d’équipiers pratiquement divisé par deux, on peut toutefois se demander si elles parviendront à défendre leur position à bord. Il se pourrait bien que Carolijn Brouwer ait été la dernière femme à remporter le Volvo Ocean Race pour un bon bout de temps.