À l’est de l’Australie, à une portée de milles des côtes nord-est du Queensland, émerge un chapelet d’îles ourlées d’émeraude. Protégée du large par la Grande Barrière, c’est une zone de navigation parfaite qui s’offre à tout amateur de croisière.
Les Whitsundays ? Alors c’est où ? Lorsqu’à la veille de notre arrivée en Australie les questions sur notre itinéraire en camping-car fusent autour du dîner familial, ce sont quelques lignes dans un guide qui attisent l’excitation. Ces 74 îles furent découvertes par James Cook en 1770. Pour la plupart inhabitées, elles se situent sur la même latitude que Tahiti et jouissent donc toute l’année d’un climat privilégié. On les trouve au milieu du Queensland, la région au nord-est de l’Australie connue pour être bordée par cet écosystème unique qu’est la Grande Barrière. L’idée de l’approcher, d’y découvrir sa faune et ses plages au sable immaculé remporte les suffrages.
L’aventure commence donc au petit matin dans le port d’Airlie Beach, une jolie marina au charme tropical, quand nous posons le pied sur Banjo, un Bali 4.0 de location de la société Dream Yacht Charter. Notre regard est happé par l’étendue turquoise devant nous. Une légère brise de nord tente en vain de ralentir la montée du thermomètre. Ici, chacun profite déjà de l’ombre des bâtiments ou de quelques palmiers pour siroter un café. L’ambiance respire la station balnéaire et la zone de villégiature des citadins montés de Brisbane ou Cairns. Les distances sont sans commune mesure en Australie et personne ne s’étonne de prendre l’avion pour partir en week-end. Au loin dans cette brume de chaleur matinale évanescente, on commence à distinguer les premiers sommets des Whitsundays. C’est Christophe Vanek, un Breton installé ici depuis 30 ans, qui nous accueille et nous fait le tour du propriétaire. Il gère cette base du bout monde pour nous européen et sa vingtaine de bateaux de location.
Les possibilités de navigation sont infinies, les distances sont courtes entre chaque mouillage de cet immense plan d’eau abrité de la houle du large. Les seules véritables contraintes sont évidemment liées à la durée de la croisière, ainsi qu’à la course du soleil. Il est en effet plus que raisonnable de ne pas naviguer de nuit dans ces eaux. Les courants à certains endroits peuvent être forts et les récifs débordent assez souvent du balisage de ces ilots coralliens. Dream Yacht Charter oblige d’ailleurs ses clients à rester au mouillage entre 16 h et le lever du jour et à signaler son point de chute chaque soir par VHF. Cette restriction relève du bon sens marin, comme celle qui privilégie l’utilisation des bouées de ce parc marin pour éviter de poser l’ancre sur les coraux. De toute façon au-delà du reef, le sondeur s’affole rendant le mouillage bien aléatoire.
La carte postale décrite pendant le briefing ne fait qu’attiser notre soif de découverte et monter une légère frustration à l’idée de déjà manquer de temps pour tout explorer. Il faudra bien choisir ses spots et revers de la médaille : on risque de ne pas être seul, vu le nombre d’anciens Maxi et multicoques star de l’offshore pacifique, reconvertis en bateaux de charter, qui manoeuvrent dans le port, le pont couvert d’équipiers instagrameurs. La destination est très populaire et beaucoup d’étrangers comme d’Australiens viennent y passer quelques jours. Foi de Breton, l’appel des sirènes sera plus fort ! Cap résolument à l’est en sortant d’Airlie Beach et poussé par des conditions clémentes nous glissons dans Hook Passage pour emmagasiner les premières images.
Des sapins chez les kangourous
Le paysage est déroutant, les îles plutôt hautes qui nous entourent sont abruptes et rocailleuses. Elles sont couvertes de conifères qui descendent jusqu’à des plages de sable blanc. De profonds fjords, appelés inlets, creusent ce paysage offrant des abris pour la nuit. Le Canada aurait-il migré dans l’hémisphère sud bousculant les standards tropicaux ? Ici, point de palmiers, heureusement la température avoisine les 30 degrés et les barrières de corail entourant chaque île nous évitent de perdre pied. Et que dire de nos deux premières escales atteintes avec l’aide du moteur, car la brise fut comme nous écrasée par le soleil. Un pique-nique sur Dumbell Island et une nuit à Esk Island nous offrent une mise en scène parfaite. Lever de rideau éclatant sur l’attirail complet des récifs coralliens : eau transparente, sable blanc et visite de tortues qui brassent quelques minutes en surface.
Contre toute attente nous sommes seuls à profiter des quelques bouées de corps-mort qui dodelinent mollement à 50 m de la plage. Hors saison nous sommes manifestement déjà sortis des routes touristiques. Ces petits îlots d’une centaine de mètres ne sont pas habités. Il va donc de soi qu’une telle virée implique une autonomie totale tant en carburant qu’en avitaillement. Nous sommes dans un parc marin. Le guide de navigation du bord, parfaitement clair, fourmille d’informations sur chaque zone de mouillage, notamment le code couleur qui correspond sur chaque bouée à la taille de notre bateau. L’aménagement très ouvert de notre catamaran avec sa table posée en avant du roof nous permet de profiter pleinement du spectacle offert pas dame nature, vols d’oiseaux, uniques habitants de ces îlots, que notre présence indiffère et le ciel qui s’embrase pour l’apéro familial.
Du blanc du blanc du blanc
Point de réveil, le soleil apparaît très tôt en Australie et dès 6 heures la luminosité est forte extirpant les récalcitrants pour le spectacle du jour, vol d’aigles pêcheurs, banc de petits poissons qui fuient la chasse matinale. La mer d’huile nous fait envisager la risée moteur pour rejoindre Whitehaven Beach avant l’arrivée de son flot d’admirateurs. Considérée comme la plage au sable le plus blanc du monde, c’est souvent le point d’orgue des tour-opérateurs. Les Australiens sont intarissables sur la beauté du lieu et chaque brochure propose une solution pour cocher l’endroit sur son calendrier. Du coup, la zone est facilement envahie dans la journée par une horde de touristes venus lézarder au soleil et débarqués par vedette rapide. Pas de panique, les 7 km de plage évitent de se marcher dessus, mais les bancs de sable de l’embouchure de cet inlet semblent les favoris.
Mouillant dans 2 m d’eau turquoise à mi-marée, c’est donc aux premières heures que nous poserons les pieds sur le sable nous offrant la primeur d’une balade solitaire. Ce sable chargé à 90 % de silice crisse d’un bruit très particulier sous nos tongs et sa blancheur oblige à porter des lunettes. Ici, l’imaginaire de la plage de rêve devient réalité. Nous comprenons maintenant pourquoi les Australiens sont dithyrambiques sur l’endroit. Il suffit de prendre un peu de hauteur sur le promontoire pour admirer l’étendue et la richesse de cet écosystème. On y trouve un improbable dégradé de turquoise sur blanc. L’eau circule entre les bancs de sable qui occupent cet immense estuaire. Des raies pastenagues virevoltent chassant les crabes araignées. Chaque poche d’eau fourmille de vie le temps d’une marée.
Quelques catamarans de connaisseurs se sont aventurés en amont et ont posé leurs coques sur le sable de cette réserve d’oiseaux migrateurs. S’assoir et profiter des changements de lumière qu’apporte la course de quelques cumulus sur les langues de sable émergentes au fil des heures. Se prélasser dans une eau azur à la température indécente en attendant qu’une timide raie vous frôle. Voilà ce que chacun vient chercher ici. Nous abuserons de l’endroit et seuls les derniers rayons nous obligeront à trouver un mouillage pour la nuit.
Dormir sur un aquarium
Oui, l’expérience Whitehaven Beach sera marquante, mais comme le seront tous nos autres arrêts. Les enfants à la barre, nous avalerons les milles qui contournent Hook Island. Pousserons jusqu’à Butterfly Bay et son mouillage entouré de hauts sommets d’où tombe parfois un venturi violent arrachant serviettes et casquettes qui ont le malheur de trainer. Ses mangroves en fond de baie se découvrent aux premières lueurs sous l’oeil d’aigles pêcheurs fièrement posés en haut des cimes.
Puis, Langford Island, un îlot prolongé par une langue de sable qui émerge à marée basse, vous laisse tel Robinson vous prélasser au soleil. Ses hauts-fonds, des patates de corail, renouvèlent sans cesse l’intérêt de nos snorkelings. À l’absence humaine et au cri d’oiseaux de la surface s’oppose sous l’eau une frénésie aquatique. Nuée de chirurgiens, de perroquets, assauts de « némo » dissimulés dans les anémones, danse gracieuse de tortues… sans oublier les inévitables poissonsanges qui stationnent devant l’échelle de bain dans l’attente de la distribution de miettes par les enfants. Seul bémol, la présence de Jelly Fish, la cuboméduse aux piqures douloureuses qui nous oblige à porter un lycra intégral pour nager malgré la chaleur.
Il y a 10’000 ans déjà
Chaque soirée au mouillage apporte aussi son lot de surprises. Concert et visite de cacatoès aussi curieux que voleurs, loin de l’image d’Épinal du compagnon de pirate, ballet de raies mantas en chasse, balade à la rame pour écouter les bruits de la forêt. Les enfants sont ravis par la nature et apprécient jour après jour cette vie en croisière. Chaque fin de journée, l’école revêt donc un tout autre visage, les cahiers posés sur le roof. Notre dernière soirée nous plongera dans l’histoire. Nous remontons Nara inlet pour mouiller au pied d’une cascade asséchée. C’est un site aborigène. Il y a quelques milliers d’années, le peuple Ngaro avait élu domicile sur ces îles. Les peintures qui ornent les grottes à flanc de sommets sont les plus anciennes traces d’activités humaines sur la côte australienne. Les enfants qui avaient planché sur un tel exposé l’année dernière sont aux anges. Est-ce le côté mystique du lieu ou les bruits particuliers de cette forêt qui déchirent le silence ambiant ? Notre nuit sera remplie de rêves aborigènes.
Cet itinéraire formant une large boucle nous ramène inexorablement vers la côte. Déjà Airlie Beach nous fait de l’oeil et notre camping-car s’impatiente de reprendre la route. À bord, les avis divergent, cinq jours pour découvrir les Whitsundays c’est très court. Nous aurions aimé plonger vers le sud et découvrir les mouillages d’îles aux noms évocateurs comme Border Island ou Haslewood. Nous n’avons qu’entraperçu les beautés de ce parc marin, humé l’air iodé de la Grande Barrière et admiré sa faune. Alors oui, ce matin notre parenthèse nautique s’achève, nous reprenons la route dans les premières lueurs de l’aube. La brise est douce, le soleil qui monte chasse les dernières rêveries et le goût de trop peu qu’il faudra un jour combler.
À savoir
Se rendre au Whitsundays :
L’archipel des Whitsundays appartient à l’état du Queensland situé à l’est de l’Australie et célèbre pour être longé par la Grande Barrière de corail. D’Europe, c’est un beau voyage qui nous attend. Mais une fois atterri à Cairns, Sydney ou Brisbane, il est très facile de rejoindre l’aéroport d’Airlie Beach par un vol intérieur. Il y a de nombreuses liaisons journalières.
Pour organiser votre voyage et/ou navigation sur-mesure :
My Charter, info@mycharter.ch, www.mycharter.ch.
Ou Voile Évasion, fabienne@voile-evasion.ch, voile-evasion.ch.
Naviguer aux Whitsundays :
Airlie Beach est le point de départ de toute croisière sur les Whitsundays. Il y a beaucoup de compagnies de charter qui proposent des tours de 2 à 4 nuits en voilier, mais souvent sur des bateaux bondés de 12 à 20 personnes.
Dream Yacht Charter propose de nombreux voiliers qui vous permettront de vivre une expérience plus intimiste, dreamyachtcharter.com. Hémisphère sud oblige les saisons ici sont inversées, mais le Queensland bénéficie d’un climat clément et ensoleillé une grosse partie de l’année. La navigation dans les Whitsundays est plutôt aisée et le guide fourni à bord est très détaillé. On navigue dans un parc marin, il y a donc quelques consignes à respecter, mais rien de contraignant.
Danger :
Ici, on vit au plus près de la nature vous dirons les Australiens. Il n’est donc pas rare de croiser différentes bébêtes peu avenantes. Dans les Whitsundays, il y a des requins comme partout en Australie et la méduse boite dont la présence s’étend maintenant au-delà de sa saison habituelle. Précaution de bon sens, on se baigne avec un lycra intégral et on évite les eaux un peu troubles, surtout en fin de journée.
Retour d’expérience :
Les îles sont pour la plupart inhabitées. Prévoyez donc un avitaillement suffisant, même si les distances plutôt faibles vous autorisent un retour sur Airlie Beach et pourquoi pas un dîner dans un des rares resorts.