Vous avez de l’argent, du temps et un penchant affirmé pour les cinq étoiles. Vous avez aussi le souci de préserver la planète. Vous faites partie de ces nouveaux voyageurs, écartelés entre leurs habitudes de jet setteurs et les remords d’un coupable bilan carbone. Compagnies d’aviation et croisiéristes ont bien saisi ce dilemme. Elles suivent notamment la piste de carburants moins polluants. Les palaces ne demeurent pas en reste. Aux quatre coins du monde, beaucoup mettent en avant leur attachement au développement durable. Pur marketing?

Texte & photos: Bernard Pichon

Le défi du haut de gamme consiste à intro- duire des mesures d’économie sans ternir l’image de luxe. Depuis deux ou trois ans, on note des gestes susceptibles de séduire une clientèle nantie et écologiste. Il y a longtemps que cette dernière est invitée à réutiliser ses serviettes de bain (à noter qu’elles sont sou- vent changées d’office, même si elles ont été dument suspendues pour manifester une adhésion au principe). Certains hôteliers ban- nissent les objets en plastique jetables – go- belets, pailles, etc. – ou récupèrent les savon- nettes à peine utilisées par les clients pour les transformer en nouveaux produits d’hygiène. L’effort devrait surtout porter sur la consom- mation électrique et les denrées alimentaires, responsables – selon Hôtellerie Suisse – de 90 % des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur. Les défenseurs de la nature ne manquent pas de relever des incohérences, comme ces écolodges africains uni- quement accessibles… en avion.

L’exemple asiatique

Comment satisfaire une clientèle contemporaine – souvent urbaine – en quête de nature sauvage et préservée, mais guère encline à flirter avec l’inconfort, encore moins l’insalubrité? L’Extrême-Orient semble donner le ton, souvent à l’initiative d’opérateurs locaux. L’Hôtel Datai, à Langkawi (Malaisie) s’est engagé dans une démarche de certification avec Earthcheck. Objectif : zéro déchets, culture du jardin grâce au com- post, etc. À Bornéo, l’écotourisme est très présent avec notamment un programme de volontariat pour aider les locaux, idem à Saba. À Sarawa, on promeut des hébergements en lodges dans la forêt primaire et des séjours immersifs chez l’habitant.

Les sens en éveil

Persuadé que le mariage de l’authentique et du haut de gamme n’est pas celui de la carpe et du lapin, Eva et Sonu Shivdasani ont fondé une collection de palaces où la beauté brute vient détrôner l’ostentatoire. Dans le Sud-Est asiatique comme au Sultanat d’Oman ou dans l’océan Indien, leur collection de « Six Senses » s’adresse aux Robinsons des temps modernes. Ce luxe réinventé se matérialise en des lieux généralement isolés, toujours sublimes, où l’on préfère déguster le poisson frais pêché sur une table de bambou plutôt que sous une colonnade de marbre. Les deux adresses vietnamiennes – Ninh Van Bay (province de Khanh Hoa) et Con Dao (au large de Nha Trang) se distinguent par leur isolement et leur style novateur: bois brut, persiennes en bambou, salles de bain à l’an- cienne. Les villas sont à la fois ouvertes sur l’extérieur et totalement à l’abri des regards indiscrets. Les pêcheurs locaux fournissent au fur et à mesure leurs captures. Quant aux lé- gumes et herbes aromatiques, ils proviennent du potager biologique attenant. L’eau que l’on boit n’est pas importée du bout du monde, mais produite sur place et conditionnée en bouteilles de verre réutilisables.

JOUR DE MOUSSON AU SIX SENSES, SUR L’ÎLE DE YAO NOI, IDÉAL POUR TESTER LE SPA EN PLEINE NATURE.

Raffinements thaïs

C’est un archipel posé sur le Golfe de Thaïlande, aux confins du Cam- bodge, à quelque 320 kilomètres de Bangkok. Longues plages désertes, collines verdoyantes et portions de forêt pluviale préservées. C’est là que le Soneva Kiri a fait son nid: un domaine hôtelier rustique-chic parmi les plus exclusifs de la planète. «No news, no shoes» est le slogan de la maison. À l’arrivée, sur le ponton, l’équipe de réception vous invite donc à retirer vos chaussures. Le mot d’ordre est à la déconnexion immédiate. Et c’est donc pieds nus que l’on foule les allées menant aux infrastruc- tures communes boisées, égayées parmi 160 hectares de jungle. Ici, pas de télévision; le domaine ne mise que sur des matériaux écologiques ou recyclés. Une vingtaine de collaborateurs sont affectés au retraitement de près de 80 % des déchets organiques générés par la cuisine.

SUR SON ÎLE DE L’ARCHIPEL VIETNAMIEN DE CON DAO, LE SIX SENSES MISE SUR UN ÉLÉGANT DÉCORUM DE RÉCUPÉRATION.

Émules de Fizzcaraldo

Visez l’Australie et l’île des Kangourous, au large d’Adélaïde! Combien de lieux, sur la pla- nète, offrent encore un tel panorama de plages infinies, vierges de toute infrastructure ? C’est pourtant sur l’une d’elles – isolée – que Hayley et James Baillie, promoteurs d’une hôtellerie respectueuse de l’environnement, ont réussi à implanter un éco-palace figurant régulièrement au palmarès des dix meilleurs du monde. L’ar- chitecte local de cette folle entreprise a si bien intégré son ouvrage au maquis que l’on pourrait parler de camouflage. Aucun luxe ostentatoire au Southern Ocean Lodge, mais un décorum épu- ré à la scandinave, néanmoins raffiné jusque dans ses moindres détails. Les privilégiés pouvant s’offrir un séjour ici sont accueillis en pension complète, incluant repas gastronomiques, boissons… et wifi, tout de même! Des guides patentés leur font visiter l’île et commentent la vue incroyable dont jouissent chambres et lobby. Un stagiaire de l’École Hô- telière lausannoise résume sa provisoire condition : « Bien sûr, ici, il n’y a pas grand-chose à faire le samedi soir – si ce n’est du feu dans la chemi- née – mais le grand spectacle est permanent».

En Afrique aussi

Même concept, même genre d’environnement: un autre domaine rap- pelle étrangement cet exemple australien. Il se situe en Afrique du Sud, à quelque distance de Cape Town. Le Grootbos se dissimule dans une vaste réserve naturelle privée, offerte à la contemplation de touristes ébahis. Six nouvelles espèces végétales ont été récemment découvertes dans cette garrigue, véritable conservatoire botanique où des myriades de fleurs animent une moquette plutôt vert-de-gris. Tout proche, l’océan permet la contemplation des baleines, particulièrement nombreuses entre juin et septembre. Cette portion de territoire viticole où l’on ne vient pas en safari abrite des hôtels de luxe où l’on pratique un écotourisme de haut vol. Le très vaste domaine de Boschendal (254 hectares) propose à la fois une expérience de dégustation (5 vins au choix dans un cadre élégant, sous de superbes chênes) et un hébergement dans des cottages entourés de potagers et jardins dédiés à la culture biologique. Bien conservé, le manoir – remar- quable demeure de maître de 1812 – illustre la fameuse architecture Cape Dutch qui faisait florès à son époque. On peut effectuer des balades à cheval. The Tree House est un club offrant aux enfants de 4 à 14 ans la chance de vivre une expérience rurale authentique sous la houlette de professionnels. «Certains découvrent ici que le lait provient du pis de la vache, et non pas d’une fabrique de berlingots», s’amuse une animatrice.

LE DOMAINE DE GROOTBOS EST PERCHÉ SUR UNE RÉSERVE NATURELLE PRIVÉE.

Tous concernés

Les émissions liées aux transports dus au tourisme devraient représenter 5,3 % de toutes les émissions de CO2 d’origine humaine d’ici 2030, contre 5% en 2016, selon un récent rapport de l’Organisation mondiale du tou- risme. Les voyageurs sont invités à modifier leurs comportements pour assurer la survie de la planète, peu importe la destination choisie. Une étude française révèle que 54 % d’entre eux souhaitent jouer un rôle dans la réduction du tourisme de masse. Les deux tiers envisagent des itiné- raires hors sentiers battus, alors que 59 % visent des hébergements situés à l’extérieur des centres-villes. De plus, pas moins de 60% des sondés aimeraient avoir accès à un service – application ou site Internet – qui leur recommanderait des destinations en quête d’une hausse du tourisme.

LES VILLAS DE BOSCHENDAL S’INSCRIVENT DANS UN VASTE JARDIN ENTOURÉ DE VIGNOBLES.