Vous avez largement remporté la dernière manche et finissez la Youth America’s Cup à 1 point du podium, quels sentiments dominent ?
Beaucoup d’émotions s’entrechoquent ! La déception de ne pas avoir pu transformer l’essai lors de la 8e manche qui a été annulée, mais aussi la satisfaction d’une course parfaite sur laquelle nous clôturons cette magnifique aventure. Au début de cette quatrième et dernière journée de compétition, nous étions tellement enragés que tout nous paraissait être à notre portée. Après avoir mené cette première course de bout en bout, en franchissant la ligne d’arrivée 22 secondes après nos poursuivants directs, nous étions hyper concentrés et dans une « bonne routine » pour la dernière manche qui comptait double. A un point du podium et trois du deuxième, on y croyait vraiment et nous étions prêts. Mais les reports de course se sont succédés, puis la limite de vent supérieure a été franchie de manière durable, et la dernière manche a été annulée. Nous avons réalisé avec stupéfaction que tout pouvait se terminer de manière aussi abrupte et inattendue, les jeux étaient faits.
Certains observateurs mettent ces deux points manquants sur le rejet du protêt de la veille…
Il s’agit vraiment d’un tout. Nous savions depuis le début que le podium se jouerait à très peu de choses et que nous devions nous montrer réguliers. Certes, la drisse des Français nous a pénalisés, et si notre protêt tenait la route sur le fond il a été rejeté pour vice de procédure, mais ce n’était pas la seule erreur que nous avions commise. Nous avons mal commencé le championnat et, la troisième journée, les ennuis se sont accumulés. Pour la première fois, nous rencontrions des problèmes de stress à bord car rien ne fonctionnait comme prévu, nous étions trop sûrs de nous sur des choix tactiques, puis la remise en question a touché tous les postes, et cela nous a déstabilisés. L’équipe est jeune et ce n’est pas toujours facile de se remettre d’une défaite, mais ces garçons ont prouvé à deux reprises qu’ils pouvaient le faire, en se classant deux fois deuxièmes au deuxième jour, et premiers au quatrième jour. Je considère que leur progression a été spectaculaire.
S’il fallait rejouer une manche ?
Clairement la cinquième : on gagne le départ et on pointe troisième au reaching, puis on suit une info qui nous incite à nous dégager rapidement avec un jibe set, mais cette manœuvre nous plombe complètement et finit en 180°. Trop de précipitation et beaucoup de bateaux autour nous ont été fatals. Je regrette de ne pas m’être montré plus lucide, de ne pas avoir mieux observé ce qui se passait autour, mais cela fait partie de la régate.
Par quoi avez-vous été le plus surpris ?
La montée en puissance de l’équipe m’a scotché. Par exemple lors de la première journée, nous avons connu de sérieux problèmes de communication et de visualisation. Nous avons pu les régler le soir-même en une demi-heure de débriefing, et prouver la pertinence de ces solutions dès le lendemain en nous imposant sur les deux départs du jour. Certains jeunes par ailleurs m’ont vraiment étonné par leur détermination, ils en voulaient encore plus que moi !
Quel bilan tirez-vous de cette aventure ?
Une expérience extraordinaire, humainement et sportivement. Tout s’est mis en place parfaitement depuis le début pour que nous soyons prêts le moment venu. Ma plus grande satisfaction provient de l’ambiance du groupe et de l’esprit d’équipe formidable qui s’est instauré. Notre progression s’est avérée monstrueuse durant ces neuf mois. Jamais auparavant nous aurions été capables de réaliser des coups tactiques tels que ceux de ces derniers jours. Même en février au moment des sélections, nous étions loin de pouvoir remonter des places comme cela a été le cas sur certaines manches. Moi-même, j’aurais sans doute craqué sous la pression.
Que va-t-il en rester ?
Cette dernière manche d’anthologie va sans doute rester très longtemps gravée en nous. Le plan d’eau est magnifique et fait partie intégrante de cette expérience extraordinaire. Parallèlement, nous avons bénéficié de conditions de rêve : nous étions tellement bien encadrés à tous les niveaux que nous ne pouvions pas rêver mieux, c’était digne d’une belle équipe professionnelle. Ce que nous avons appris va nous rester, ne serait-ce que demeurer concentrés tout en répondant aux sollicitations des médias, de l’organisation et de notre propre service interne de communication ! Au-delà de cette aventure hors du commun, nous allons certainement continuer à travailler ensemble avec certains membres de l’équipe, sur d’autres régates et d’autres supports, et j’espère qu’un nouveau grand projet suisse nous réunira encore à l’international.
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