« Quand tu dévales la houle à bord d’un mini transat, la sensation de glisse, l’adrénaline sont les mêmes qu’en Freeride lors d’un bon virage dans la poudre ! Les deux sports sont très différents, mais la figure est la même : tu pars au surf… » C’est là, sans aucun doute, le lien profond qui lie Stève Ravussin à ses deux passions, la mer, dont il a fait son métier, et la montagne, où au dire de tous, il aurait pu briller. Le skipper vaudois a-t-il manqué une seconde vocation ?
Un enfant du lac
La montagne n’était pourtant pas loin lorsqu’il s’essaya pour la première fois au sport nautique. En bon Suisse, originaire d’Epalinges au-dessus de Lausanne, c’est tout naturellement dans le lac qu’à 12 ans il se jette à l’eau avec ce qui a l’époque était le plus rapide, le plus fun : la planche à voile. « Dans les années 80, c’était les débuts de la planche. Près de chez nous, au-dessus de Morges, habitait Emerson Fittipaldi, le pilote brésilien champion du monde de Formule 1 (NDLR en 1972 et 1974) et on le voyait faire de la planche sur le lac. C’était exactement ça que je voulais faire, filer sur l’eau ! » La planche à voile pour support avant de passer sur les Surprise et d’attaquer le multicoque en Formule 20, toujours sur le lac Léman. L’objectif reste identique : la vitesse bien plus que le large. C’est sans doute la raison qui le retient un temps en suisse et qui, encore aujourd’hui, l’entraîne avec plaisir dans des runs endiablés sur le lac en Décision 35 ou tout autre support. « Mon domaine, c’est la vitesse. Un tour du monde, c’est une belle aventure certes. Le Vendée globe, on me l’a proposé, mais ça ne m’intéresse pas. Groupama 3 (NDLR Trophée Jules Verne 2010) c’était super, mais je ne le referais pas. C’est trop long (48j, 7h, 45 min) et, au moindre temps mort, j’ai l’impression de perdre mon temps. Rester plusieurs heures sur le même bord, attendre son quart… je n’aime pas ça. »
Repéré pour ses qualités de marin, l’étau de montagnes qui enserre le lac Léman se desserre en 1992 avec l’appel de Pierre Fehlmann qui le recrute sur le Maxi Merit. Les portes de la haute mer s’ouvrent, mettant sans doute fin à toute velléité de pratiquer le snowboard à haut niveau, « mais je ne me suis jamais réellement posé la question. Le snowboard reste comme le parapente, le motocross ou le kitesurf : un super passe-temps, mais pas une fin en soi. Et puis je suis un ancien asthmatique, alors la montagne, les hauts dénivelés, ce n’est pas top. »
Une passion, la glisse
Si le Maxi Merit, lui ouvre les yeux sur la compétition en mer et une Mini Transat sur le grand large, c’est dans la conduite des multicoques que Stève se spécialise, remportant sur un formule 40 remanié la Route du Rhum en classe 3. Le véritable électrochoc se produit sur Primagaz où Laurent Bourgnon l’invite à naviguer en 1997. « C’était exactement le style de bateau qui m’intéressait, puissant, rapide, sans concession ».
Puis il forme avec Franck Cammas un duo antinomique, mais complémentaire : Stève, l’instinctif, personnage haut en couleur à l’humour ravageur ; Franck, calculateur et méthodique à l’extrême. « En multi, on est sur le fil du rasoir. On passe notre temps à escalader puis à dévaler les vagues. Par contre, on est comme des fétus de paille et la moindre erreur se paie cash. » Ainsi ce chavirage en 2002 à moins de 734 milles de Pointe-à-Pitre, alors que Stève domine la Route du Rhum. « C’est certain, on prend des risques, mais quelle adrénaline ! Moi, demain, si j’arrête le multicoque, j’arrête le bateau ».
Et il reprendra sans doute le chemin des cimes. Car la montagne n’est jamais loin, ne serait-ce que pour suivre sa compagne, Émilie Serain, double championne suisse de skicross, montée à trois reprises sur le podium en Coupe du monde ou bien pour se préparer à une nouvelle course, comme avant la Jacques Vabre de 2007 lorsqu’il fit l’ascension du Mont-Blanc avec Franck Cammas. La haute montagne avant le grand large…
Mer et montagne des valeurs communes
Stève est sensible aux valeurs communes que partagent marins et montagnards. « Avec les montagnards, on joue sur un terrain de jeu naturel, mais ils prennent beaucoup plus de risques que nous. Disons que leur environnement est moins prévisible. Nous, on peut anticiper la météo à 5 ou 6 jours. Alors qu’en montagne, du fait du relief, il y a des blocages, des évolutions impromptues et l’élément neige en plus qui évolue en permanence. » Certes, la gestion d’un multicoque dans une mer croisée, courte ou hachée est complexe, dangereuse, mais c’est prévisible et, en cas de coup dur, un bateau est comme un refuge en haute montagne. « J’en ai fait l’expérience, on peut vivre dans un multicoque retourné, en revanche un alpiniste lancé dans un 8000 sans oxygène pris dans le brouillard, ou victime d’une crevasse, c’est loin d’être aussi confortable. C’est marche ou crève ! » Pour autant, la navigation sur MOD 70, cette nouvelle classe de trimaran monotype lancée par Stève à l’assaut des océans est loin de ressembler à une balade de santé, mais « on ne joue jamais avec notre vie comme en haute montagne. Ma pratique de la mer est plus facilement comparable à celle d’un slalomeur. On recherche tous les deux à optimiser une performance instantanée et on adapte son style, sa trajectoire aux conditions climatiques rencontrée. » S’il a professionnellement fait son choix, Stève Ravussin continue de slalomer entre mer et montagne à la poursuite d’une sensation unique, la vitesse pure.