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SEBASTIAN COPELAND, l’eau dans tous ses états

par Brice Lechevalier

Explorateur, glaciologue et photographe, ce fervent défenseur de la nature souhaite entamer la «dernière grande marche». Il est soutenu par l’horloger suisse Ulysse Nardin.

Propos recueillis par : Brice Lechevalier

Comment vous est venue la fascination pour les grands explorateurs?

Mon parcours de vie a été influencé très tôt par la nature et la découverte et plusieurs facteurs l’ont façonné. Très jeune les livres de Jack London tels que L’appel de la forêt ou Croc-Blanc m’ont fasciné, puis les récits d’explorateurs comme Franklin, si bien qu’ado- lescent je voulais devenir explorateur polaire. Mes parents ont habité à Paris, Londres et New York, mais mon père était marin et m’a fait naviguer dès mes trois ans. J’ai commencé l’Opti à 5 ans et ai enchaîné sur 420, 470 et Finn, et maintenant je navigue en Tiger quand je peux l’été, mais pratique aussi la planche à voile et le kitesurf. J’étais toujours été très sportif, pratiquant le tennis de compétition et la course à pied au collège, où j’étais assez introverti et m’exprimais beaucoup à travers la photo, dès mes 12 ans. J’ai sans doute été influencé par mon grand-père britannique, qui avait consacré la première partie de sa vie aux safaris en Inde avec un fusil, et la deu- xième partie en le remplaçant par un appareil photo. Je me décris aussi comme un chasseur d’images, la seule capture qui m’intéresse est celle de la nature par mon objectif photo. Les sciences naturelles m’ont toujours plu, et j’ai étudié la glaciologie et la climatologie, tout en restant toujours très curieux. Cette soif de découverte et ce besoin de communion avec la nature m’ont aussi conduit à la randonnée et à l’escalade, mais toujours avec un objectif.

Laquelle de vos treize expéditions vous a le plus marqué ?

Le pôle Nord, de loin, c’est le pinacle des difficultés. J’y ai monté une première expédition en 2009, puis à nouveau en 2017 mais que je n’ai pas pu achever, j’espère donc y retourner en 2021. Leurs préparations nécessitent beaucoup de recherches, à la fois scientifiques mais aussi au niveau des financements, comme avec mon sponsor Ulysse Nardin. Toutes ces années j’ai acquis une connaissance approfondie en glaciologie que j’entretiens toujours, ce qui est primordial car la vie de l’homme ne tient qu’à un fil là-bas. La glace fait partie de mon système de fonctionnement, j’ai parcouru près de 10’000 km dessus, suis tombé à travers, et y ai même été attaqué par les ours. Pourtant j’ai commencé par traverser un désert de sable, le Simpson Desert en Australie, le plus grand désert de dunes parallèles au monde, où j’ai du en traverser 1’100 en tirant 200 litres d’eau sur un chariot avec mon équipier, ce qui nous a valu un record du monde sur cette voie. A l’époque j’étais photographe publicitaire et gagnais suffisamment d’argent pour financer mes premières expéditions ainsi. Au début j’effectuais une grande expédition par an, puis cela s’est espacé car j’ai maintenant 56 ans et deux jeunes enfants.

Quand votre exposition de 82 photos en grand format attire 4 millions de visiteurs au Jardin du Luxembourg à Paris, qu’est- ce que cela vous inspire?

Mon travail m’a amené à exposer très souvent, mais jamais à cette échelle. Pouvoir présenter à un public si nombreux ces images qui représentent une bonne partie de ma vie et une thématique très importante pour moi constitua un grand moment. Leurs réactions ont confirmé mon sentiment de base selon lequel il n’est pas possible de rester insensible à un sujet s’il est présenté de manière intéressante. Je ne suis pas le meilleur explorateur du monde, pas le meilleur photographe, pas le meilleur avocat de l’environnement, mais dans la capacité de m’exprimer dans ces trois disciplines à la fois j’ai atteint un très bon niveau, qui une fois ramené dans la rue et partagé avec les gens m’amène à penser que les humains sont fondamentalement bons, mais mal informés. Or, si l’on peut accéder au cœur, on peut accéder à l’esprit.

Que recommanderiez vous à quelqu’un qui voyage pour son loisir?

La curiosité a toujours été le moteur principal de ma vie, donc découvrir, ressentir et communier avec la nature reste fondamental d’après moi. La vie est trop complexe et fascinante pour simplement la subir, il faut l’expérimenter. Être dans un environnement hostile comme le pôle Nord nous permet de comprendre à quel point il n’y a rien de plus fragile que la vie. On vit dans cette illusion de sécurité au service de notre qualité de vie en utilisant la technologie, on prend tous nos problèmes et on les met dans une facture pour les envoyer ailleurs. Défendre cette cause m’amène bien sûr à voyager beaucoup, si possible en train, mais je compense toute mon empreinte carbone. Le génie humain réside dans sa capacité à imaginer, voir le futur, planifier, avoir une conscience, or cette habilité à regarder au-delà de nous-mêmes s’avère morcelée par la vie pratique qu’on a créée pour notre confort, et menace notre vie à long terme. Sortir dans la nature nous permet de réajuster notre conscience, de nous reconnecter à la terre. Si l’écotourisme est intéressant pour réduire notre empreinte carbone, je considère que la communion avec la nature est plus forte car elle engendre un désir de la protéger et des décisions qui ont des conséquences positives.

Vous avez été un professionnel de la photo de publicité, dans quelle mesure cela vous ouvre des portes aujourd’hui?

C’est certain: un des grands challenges de l’exploration, c’est le financement. Donc pouvoir compter sur une panoplie d’outils qui facilitent la recherche de fonds est essentiel. La photo professionnelle a été une manière d’affiner ma discipline, de cultiver une langue universelle pour toucher une large audience de manière visuelle et ludique autour d’une question fondamentale, mais aussi des médias comme le vôtre ou Na- tional Geographic, ainsi que des entreprises éco-responsables comme mon sponsor Ulysse Nardin, qui peut profiter de mon trésor photographique. La puissance des images fonctionne, et comme disait Stendhal «la beauté est une promesse de bonheur».

Sur quel projet d’expédition travaillez-vous aujourd’hui?

En ce moment je travaille sur ce que je considère être la dernière exploration humaine pour traverser le pôle Nord à pied, sans support et depuis la terre: «the Last Great March». C’était mon rêve d’enfant et ceux d’aujourd’hui n’y auront pas accès, c’est important de le souligner. D’ailleurs j’estime mes chances de réussite à 20%. Avec les bouleversements climatiques, la glace n’est plus stable, elle a fondu, voire été dévastée l’été, elle bouge, pleine de bulles d’air. Comme l’Arctique est en mouvement constant avec les vents et les courants, il casse la glace car elle a moins de volume. Son étendue diminue aussi et le printemps revient plus tôt. Quand elle se recompose il faut parfois escalader des murs de glace ou traverser des chenaux à la nage, c’est éprouvant et beaucoup plus lent et aléatoire qu’avant, comme Mike Horn l’a expérimenté l’automne passé. Si je parviens à boucler le financement il faudra encore trouver une équipe spécialisée de secours, elles ont pratiquement toutes disparu sur cette zone et il ne reste plus que deux types d’avions capables de se poser sur cette surface. J’espère y parvenir!

A suivre sur sebastiencopeland.com et lastgreatmarch.com

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