Rosissant le ciel printanier que n’altère aucun nuage, le soleil couchant accroche ses derniers rayons aux pins de la pointe du Lequin, près de laquelle nous venons de mouiller sur un fond de sable blond, dans une eau aussi claire que du cristal. À l’abri du vent d’est qui a soufflé tout le jour, le mouillage est calme et silencieux. Devant l’étrave, une petite plage déserte se niche entre des rochers roux et, à un demi-mille de là, le fort Sainte Agathe, massive sentinelle ancrée sur une colline, veille sur l’île et son port depuis six cents ans. C’est Porquerolles, la plus grande des îles d’Or, un paradis dont le charme n’a rien à envier à nos rêves de tropiques, et ceci à moins de cinq milles des côtes varoises ! Mais revenons au début de cette brève croisière à bord du Amel 55, le dernier-né du célèbre chantier de la Rochelle.

Au bon plein avec un confort optimal pour les passagers, ce grand croiseur file huit nœuds en toute tranquillité. © Jacques Anglès

Amarré au port d’Hyères, ce grand ketch en impose à la fois par ses dimensions (17 m de long et 5 m de large !) et par la sensation de luxe et de robustesse qu’il dégage. Taillé pour le grand large, ce dessin signé du cabinet Berret-Racoupeau va se révéler tout aussi convaincant en croisière côtière, notamment grâce à son exceptionnelle facilité de manœuvre.

Le silence règne sur Port-Cros, un rêve de bout du monde sous la garde d’un vieux fortin, à moins de cinq milles du continent. © Jacques Anglès

Un coup d’œil sur la carte 7282 du SHOM (Service Hydrographique et Océanographique de la Marine), sobrement intitulée «Rade d’Hyères», révèle l’évidence du programme : cap sur les îles d’Or (Grand Ribaud, Porquerolles, Bagaud, Port-Cros, l’île du Levant et quelques îlots), aux paysages de toute beauté parfaitement préservés par leur statut de réserve naturelle. Ce petit archipel parallèle à la côte varoise abrite la rade d’Hyères des vents du large. Celle-ci est en outre fermée à l’ouest (d’où souffle le mistral) par la longue presqu’île de Giens et protégée de l’est par le cap Bénat et l’île du Levant. Ce vaste plan d’eau (quinze milles de long et cinq à six de large) offre le plus beau terrain de jeu de la Côte d’Azur à ceux qui aiment caboter à petites étapes, avec l’assurance de faire voile confortablement quelle que soit la direction du vent.

Au bord de l’eau, la terrasse coloniale du Yacht-Club L’escale est l’endroit traditionnel de Porquerolles pour un apéro ou un dîner au coucher du soleil © Jacques Anglès

Ciel limpide et petite brise d’est, les conditions sont parfaites pour larguer les amarres et faire route vers notre premier objectif, l’île du Grand Ribaud et la baie du Langoustier, à la pointe ouest de Porquerolles. Dès la sortie du port, les trois voiles du grand ketch sont établies et réglées en quelques minutes avec une facilité surprenante, toutes les manœuvres s’effectuant du poste de barre grâce un jeu de joysticks actionnant les enrouleurs-dérouleurs et les winches. Route au bon plein à sept nœuds, le cap de l’Estérel (pointe est de la presqu’île de Giens) est vite doublé, avant d’abattre en grand pour aller contourner l’île du Grand Ribaud puis revenir au près dans un vent fraîchissant à vingt nœuds. Deux petits bords plus tard, en prenant soin d’arrondir par le nord la balise de la Jeaune Garde, nous mouillons par 4 m d’eau dans la baie du Langoustier, à l’extrême est de Porquerolles. Décor magnifique pour déjeuner à bord, avec une plage de sable au fond de l’anse et un fortin médiéval sur un îlot rocheux. En ce beau jour de fin avril, nous disposons seuls de ce charmant ancrage. Nous lèverons l’ancre dans l’après-midi pour rejoindre le port de Porquerolles, et c’est ainsi que se comptera le rythme de notre croisière : deux ou trois petites étapes quotidiennes en changeant de décor à chaque fois. Entre mouillages solitaires et petits ports au charme exotique, on a souvent l’impression d’être au bout du monde.

Stable et puissante, la carène large du Amel 55 offre un confort optimal en navigation. © Jacques Anglès

Le port de Porquerolles : un petit goût d’Afrique

C’est l’unique village de l’île, doté d’un port accueillant, assurément le meilleur abri du coin quand souffle le mistral. Avec sa Grand-Place où l’église s’élève en majesté entre deux haies d’eucalyptus séculaires, son coin des pêcheurs ombragé de palmiers, ses vélos qui sillonnent les chemins sableux et son vieux fortin surplombant le village, l’endroit évoque quelque colonie africaine oubliée, imprégnée d’une quiétude particulière due à l’absence de voitures. Le Yacht-Club l’Escale, c’est aussi le nom du premier bar-restaurant du village. Incontournable ! Les îliens viennent y prendre leur café du matin, la véranda de style colonial avec vue sur le port est parfaite pour un apéro au coucher du soleil, et l’on peut même y rester à dîner. Deux autres choses à ne pas manquer ici : le fort Sainte Agathe, à 57 m au-dessus du village, pour la vue panoramique, et la balade à travers champs et forêts jusqu’au phare du cap d’Armes, perché à 85 m au-dessus de l’eau, à la pointe sud de l’île. La vue sur les roches escarpées de la côte sud et le grand large est magnifique. Certains prétendent même que l’on peut apercevoir la côte d’Afrique à l’horizon !

Un carré luxueux et clair, encadré de banquettes moelleuses pour accueillir six à huit convives. © Jacques Anglès

Baies et plages abritées

Entre pins et roches, la baie du Langoustier constitue un délicieux ancrage dans une eau cristalline à l’abri des vents d’est et des brises modérées d’ouest. Un fort du XVIIe siècle sur une colline et un autre au ras de l’eau complètent le décor en rappelant le passé stratégique de l’île. Tout proche, le Mas du Langoustier – hôtel et restaurant – est la tentation suprême des gastronomes : cadre magnifique en pleine nature, service haut de gamme et chef étoilé aux fourneaux, avec une carte aux saveurs de Provence. Splendide paravent naturel surmonté d’un vieux fort parmi les pinèdes, la pointe du Lequin abrite le meilleur mouillage de l’île par vent d’est. Le fond de sable clair assure la bonne tenue de l’ancre, devant une petite plage où l’on peut débarquer facilement pour aller au village, à un quart d’heure de marche. Quant à la plage Notre Dame, elle nous accueille sur un plan d’eau limpide comme un lagon tropical, abrité des vents d’est par la longue crête du cap des Mèdes. Les Mèdes, ce sont les deux rochers abrupts qui prolongent le cap, un nom qui signifie «aiguilles rocheuses» sur tous les rivages méditerranéens. Avec sa longue plage incurvée sur fond de collines couvertes de pinèdes, le cadre est grandiose et, hors saison, on peut s’approcher de la plage et venir mouiller par moins de trois mètres d’eau. Somptueux !

À quelques encablures de Porquerolles, la presqu’île de Giens réserve quelques criques pleines de charme. © Jacques Anglès

Port de Port-Cros : comme un repaire de pirates

Du large, rien ne permet de deviner ce petit port naturel qui évoque quelque repaire de pirates des Caraïbes, avec un vieux fort juché sur un morne pour surveiller l’entrée, quelques maisons alignées sur le quai frangé de palmiers et une forêt luxuriante qui dévale des pentes voisines. C’est l’escale la plus dépaysante de la côte d’Azur, loin des bruits et de l’agitation du monde moderne, avec une quarantaine d’habitants, un hôtel, une épicerie et quelques restaurants. L’île est une réserve naturelle terrestre et maritime qui bénéficie d’une protection intégrale jusqu’à 800 m des côtes. Longue de quatre kilomètres, elle offre de splendides balades à pied dans une nature sauvage, sans crainte de rencontrer le moindre véhicule (même les vélos sont interdits). L’émerveillement se prolonge sous l’eau pour les amateurs de plongée, qui découvriront une flore et une faune d’une fabuleuse richesse, que ceux qui n’aiment pas se mouiller pourront aussi apercevoir grâce à un semi-submersible touristique. En effet, le Parc National de Port-Cros est une vaste réserve naturelle terrestre et maritime qui assure aujourd’hui la protection environnementale de toutes les îles d’Or jusqu’à 600 m au large des côtes. Comme dans toutes les réserves de ce type, la protection environnementale se traduit par des interdictions (chasse, cueillette, camping, feux, etc.) ou des règlements spécifiques concernant la plaisance, la pêche et la plongée.

Amel 55 : l’esprit croisière

Pour un plaisancier averti, embarquer sur un Amel a toujours un parfum de privilège. D’abord parce cette marque jouit d’une renommée mondiale solidement établie au fil des ans par son fondateur, feu Henri Amel. Ensuite parce que sa production, aussi sélective que confidentielle, en réserve la faveur à une clientèle triée sur le volet. Dernier-né du chantier de La Rochelle, le 55 reste fidèle aux fondamentaux de la maison : gréement de ketch, cockpit central abrité pour naviguer sans fatiguer, construction à toute épreuve avec cloisons stratifiées à la coque et au pont, mâts Amel spécialement renforcés pour les enrouleurs maison, transmission intégrée dans la quille…et une foule d’autres choses que l’on ne trouve que sur les Amel. Héritier direct du Amel 54, le 55 dessiné par le cabinet Berret-Racoupeau gagne en longueur et en largeur de flottaison. La poupe, plus large, permet en outre de choisir entre deux belles cabines arrière ou une suite luxueuse en plus de la grande cabine avant. Outre l’intérieur luxueux où l’acajou vernis règne en maître, ce grand croiseur se distingue par son équipement haut de gamme installé d’origine, de l’électronique de navigation au lave-linge/séchoir. La cuisine se distingue par sa dimension et son équipement, le carré offre six à huit larges places (avec la rallonge fournie). De plus, le plateau de table sur glissière permet de dégager l’accès aux banquettes, un des innombrables détails qui font la différence. Autre atout de confort, l’insonorisation parfaite du compartiment moteur/groupe électrogène, dont on entend à peine le bruit dans le carré. Bref, voilà un bateau «prêt à vivre» dès sa mise à l’eau. L’équipement de pont est lui aussi exceptionnel, à l’image du système de mouillage, avec deux ancres prêtes à servir et deux guindeaux indépendants.

En navigation, le point fort du 55 c’est sa facilité de manœuvre grâce aux manœuvres commandées du poste de barre, qu’il s’agisse d’envoyer et de régler la voilure, de mouiller, ou de prendre une place à quai. On se familiarise vite avec ces télécommandes et, dès lors, établir la voilure pour une brève distance ou l’adapter instantanément quand les conditions changent ne suscite aucune hésitation, ce qui est un vrai luxe sur un 17 m. Idem pour les manœuvres de port, facilitées par le puissant propulseur d’étrave. Sous voiles, malgré ses 22 tonnes, le 55 démarre avec peu d’air et allonge la foulée dès que la brise fraîchît. Au près, il serre le vent sans barguigner, assurant un VMG plutôt flatteur, et ceci dans le plus grand confort. La gîte au près reste modérée et il n’y a pas intérêt à rester surtoilé pour bien avancer, la première réduction de voilure intervenant vers 18 nœuds de vent réel. Bon point pour la stabilité de route, et l’adaptabilité immédiate de la voilure aux variations de vent. Par vent fort on roule le génois pour laisser travailler la trinquette en enroulant progressivement l’artimon et la GV. Bref, malgré sa taille et son poids, ce croiseur de haute mer joue tout aussi bien le jeu de la croisière côtière, tant il est facile à mener en équipage réduit.