L‘Australien Paul Larsen a consacré onze années de travail à la quête du record de vitesse à la voile. © Helena Darvelid

Si l’Hydroptère d’Alain Thébault et le kitesurfer Rob Douglas ont longtemps monopolisé les médias sur la question de la vitesse à la voile, l’Australien Paul Larsen a donné un immense coup de pied dans la fourmilière et leur a piqué la vedette sans aucun ménagement, à la fin de l’année dernière.

Le trimaran de Thébault a bien été un des premiers voiliers à franchir la barre des 50 nœuds, et le kite de Douglas celle des 55 nœuds. Mais malgré ces remarquables tours de force, ces deux héros d’un temps font presque figure de «has been» face à la prouesse réalisée par Larsen et son team. Vestas Sail Rocket 2 (VSR2), flashé à 65,45 nœuds (plus de 120 km/h) sur 500 mètres, a en effet relégué en quelques minutes toutes les précédentes tentatives au rang de ce qu’on pourrait qualifier de jolies performances.

Et si Thébault a courtoisement félicité l’Australien par voie de communiqué officiel peu après son record, Douglas, un peu maussade, s’est contenté de commenter, avec un brin d’ironie : « Bien sûr qu’on va le battre, on est là pour ça. Peut-être que mes enfants y parviendront ! » Remarque qui donne toute la mesure du fossé qu’a creusé l’Australien avec ses prédécesseurs.

Le site de Walvis Bay, en Namibie, présente les caractéristiques idéales pour réaliser des campagnes de record. © Helena Darvelid
L‘architecte naval genevois Sébastien Schmidt a exhumé de ses archives des croquis de Didier Costes datant des années 60, qui présentent déjà un concept similaire à celui de Vestas Sail Rocket 2. © Helena Darvelid
Onze années de travail

Jovial, modeste, plus British qu’Ausie, Paul Larsen a démontré qu’il était possible de réaliser de très grandes choses sans pour autant bénéficier d’une structure démentielle ou d’un soutien étatique. Il n’est pas pour autant un professeur Tournesol et le VSR2 est un concentré de technologie issue de recherches très complexes. Mais l’équipe a toujours mené ses campagnes sans tambour ni trompette. « A une époque, on dormait dans nos containers, en Namibie, parce que nous n’avions pas de budget. Tout ce qu’on dépensait allait dans le bateau. » Passionné comme peu le sont, voilà onze ans que Larsen caresse ce rêve. « La satisfaction de briser le record était d’autant plus grande que nous avons été seconds à de nombreuses reprises, derrière les kites, derrière Yellow Pages, derrière Macquarie Innovation. Cette fois-ci, nous sommes devant, et avec une marge confortable. »

 

Tout dans le foil

La géométrie particulière de VSR2 interpelle, mais ce n’est pas forcément le point le plus pointu du bateau. Son concept ne date pas d’hier, et l’architecte naval genevois Sébastien Schmidt à retrouvé des croquis des années 60, montrant des projets similaires. Bien sûr, le fait de naviguer en crabe, avec le fuselage orienté non pas dans le sens de la marche, mais face au vent apparent pour limiter la traînée, est une réelle avancée. Pourtant, le secret de ce record se trouve dans le foil, qui a nécessité des années de recherche, et donné des cheveux gris à plus d’un physicien. « On évolue dans un terrain complexe, entre le liquide et le gazeux, entre cavitation et ventilation. Ces environnements sont pratiquement impossibles à simuler. Seule la méthode empirique, avec test sur le terrain, permet d’avancer. »

Sébastien Schmidt, qui s’est intéressé à un concept de voilier de record à la fin des années 2000 relève évidemment la performance technique du projet. « Ils ont fait un pas comparable au passage du mur du son à une autre époque. C’est très pointu, mais maintenant qu’ils maîtrisent ces questions de cavitation, je pense qu’il n’y a plus de limite. »

Contrairement aux kitesurfs ou aux windsurfs dont les records dépendent complètement du rider, de sa condition physique et de sa capacité à mener sa machine, VSR2 ne requiert pas un pilotage extrêmement fin, en tout cas selon son skipper. « Une des conditions pour qu’un engin comme celui-ci marche bien, c’est la stabilité. Le bateau est excellent de ce point de vue, et peut aller très vite, même avec un foil médiocre. Une fois lancé, il navigue presque tout seul. Ce qui est plus complexe, c’est de l’amener au bon endroit, au bon moment, avec le bon angle de vent ».

 

65 nœuds et après ?
L‘ingénieur français Didier Costes, lors de la semaine de vitesse de Weymouth en 1978, avait atteint la vitesse de 18 nœuds sur son Exoplane. © Helena Darvelid

Paul Larsen sait bien que son record finira par être battu, mais espère évidemment que ce sera le plus tard possible. « Ce que nous avons fait va forcément inciter du monde à aller plus loin. Cependant, il est impossible de dire quelle direction vont prendre les suivants. Les kites peuvent certainement aller à 60 nœuds, c’est d’ailleurs grâce à eux que nous en sommes là. Ils ont repoussé le seuil. » Tenter de battre son propre record n’est pour l’heure pas une option, même si Larsen pense que la limite est au-delà. « On aurait pu faire mieux le lendemain du record, mais il faut comprendre que du point de vue de la sécurité du pilote, on est un peu limite. Un problème pourrait vite tourner au drame. On a eu de la chance, mais il ne faut pas tenter le diable. On est content quand c’est derrière, juste pour ça ».

L‘Hydroptère d‘Alain Thébault a été le premier voilier, après les kites, à franchir la barre des 50 nœuds en 2009. © Helena Darvelid

L’Australien attend donc de voir ce qui va se passer avant de faire des projets. Il considère encore que les développements de VSR2 sont parfaitement transposables dans un bateau de course au large, même si cette voie n’est pas envisagée pour l’instant. Alain Thébault, qui parle toujours d’un record du Pacifique avec l’Hydroptère, va probablement poursuivre dans cette direction, et envisage un nouveau support à moyen terme.

Les conditions du record Vitesse du vent réel : 29 nœuds. Vitesse du vent apparent : 58 nœuds. Angle vent réel : 100°. Angle vent apparent : 26°. Caractéristiques de VSR2: Poids : 275 kg. Longueur : 12,20 m. Largeur : 12,20m. Surface de l’aile : 22m2 © Helena Darvelid

Il ne fait aucun doute que les prochains prétendants, que ce soit sur des runs, ou en offshore, vont s’inspirer de Vestas Sail Rocket 2 pour aller plus loin. Un travail qui risque de prendre du temps, mais qui réserve sans aucun doute de belles surprises.