Nous sommes le 10 août 1503 et l’expédition commandée par Gonçalo Coelho vient de voir s’échouer sur les rivages d’un archipel inconnu son principal vaisseau. Coup dur… Un certain Amerigo Vespucci, alors homme d’équipage – illustre navigateur qui fut le premier à émettre l’hypothèse que la côte de l’Amérique du Sud constituait un nouveau continent, pose le pied à terre et s’exclame : « Le paradis est ici ! ». Le Florentin a raison… Et force est de constater qu’au XXIe siècle, si le paradis existe, il doit ressembler à cela : plages somptueuses, village pittoresque, parc naturel qui occupe les 2/3 de l’archipel, fréquentation touristique calibrée, permis de construire contrôlés, vie sauvage extraordinaire, espèces préservées tant sur terre que dans l’eau… Tortues, dauphins, raies, poissons multicolores, requins y ont élu domicile et n’hésitent pas à se montrer, partageant le bonheur ultime d’une vie en parfaite harmonie avec leur prédateur ancestral… l’Homme.

Tant d’histoires…

Mais avant d’arriver dans ce petit monde protégé, il est intéressant d’en comprendre l’historique alchimie. Un petit retour en arrière permet de voir que c’est en 1500 que l’archipel apparaît pour la première fois cartographié sur le planisphère de Juan de la Cosa, puis en 1502 sur la célèbre carte du Portugais Cantino, sous le nom de Quaresma. En 1504, le Roi du Portugal le cède au Portugais Fernando de Noronha, armateur de l’expédition de 1503. Tout devient alors plus clair quant à l’origine de ce Fernando do Noronha, qui connaîtra alors des temps forts multiculturels : le Français Binot Paulmier de Goneville y passe en 1505 avant de découvrir, peu après, l’île de Santa Catarina plus au sud ; l’Allemand Ulrich Schmidel y passe en 1534 ; l’Anglais Francis Drake y fait escale en 1577 lors de son voyage autour du globe ; prise de position des Hollandais en 1626 ; le peintre Debret reproduit les Mont Pico en 1816 lors du passage d’une délégation française ; le naturaliste anglais Charles Darwin, père de la controversée Théorie de l’évolution, y séjourne en 1832 ; l’île devient prison plusieurs fois en 1739, en 1890 et en 1938 pour y accueillir des « gitans », des voyous et des prisonniers politiques ; 1927 voit la Compagnie aéropostale française s’y installer et, à partir de 1938, c’est l’armée américaine qui y prend ses quartiers pour une cinquantaine d’années… Dernier temps fort : Fernando do Noronha se rappellera au monde entier le 31 mai 2009 avec le crash du vol Air France Rio/Paris à 340 milles de ses côtes.

Pro-tec-tion !
Des centaines de dauphins résident autour des îles et sont sous étroite surveillance. © Pierrick Garenne

Concrètement, après 20 jours de traversée en provenance de l’archipel du Cap Vert, une traversée du Pot au Noir et un passage de l’équateur, à quoi peut-on s’attendre aujourd’hui en posant le pied à terre à Porto Santo Antonio ? Et bien, déjà, à payer! Autant commencer par les choses désagréables tout de suite : tout touriste posant le pied sur Fernando se doit de régler une « Environment tax ». Que vous veniez par avion de Recife ou de Natal qui sont les deux seuls aéroports brésiliens proposant des vols réguliers du Brésil, ou par mer par vos propres moyens, vous devez payer cette taxe consacrée à la protection de l’archipel. Concrètement, il vous en coûtera de 50 Reals par jour pour un bateau de moins de 10 mètres, à 150 Reals pour un bateau de plus de 10 mètres. Sans oublier la taxe à payer par personne à bord qui s’élève à près de 40 Reals/jour. Vous l’aurez compris : il faut optimiser alors son escale à Fernando ! Mais, si vous posez l’ancre au large de Santo Antonio de nuit, attendez-vous à être réveillé par des centaines de dauphins venant batifoler entre les mouillages au petit matin. Des dauphins – les Rotifer dolphins ou Stenella longirostris – au comportement des plus festifs, habitués à claquer de grands sauts hors de l’eau en vrillant sur eux-mêmes. Magique… Le spectacle peut commencer car attendez-vous à admirer dans une eau translucide raies manta, tortues, mérous, petits requins, le tout baigné dans un aquarium de poissons multicolores. Il faut savoir que l’île et ses côtes sont aux 2/3 reconnues parc naturel et ce, jusqu’à cinquante mètres de fond. Donc, vous l’aurez compris, seuls les bateaux agrémentés sont autorisés à aller mouiller, plonger ou pêcher dans certains endroits. La population vivant aujourd’hui à près de 90% du tourisme – les autres 10% étant fonctionnaires – on comprend qu’un vrai business s’est organisé autour du parc naturel et de sa protection. Logique, car admirer les tortues sous l’eau en pleine période de reproduction à Praia do Sueste ou assister à la ponte de nuit d’une tortue à Praia de Leao ou de Sancho a aujourd’hui concrètement un prix… Mais soyons honnêtes : nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes d’en être arrivés là !

Pas de crème solaire !
L’association Tamar accueille toute l’année scientifiques, visiteurs et habitants dans le but d’informer et de protéger la faune et la flore marine. © Pierrick Garenne

Mais l’archipel a des beautés cachées et si la majorité des îles est interdite d’accès, c’est pour mieux admirer ce qu’il nous est permis d’observer. Praia da Atalaia reste un exemple rare de gestion de la ressource environnementale. Si seulement 400 touristes ont le droit d’être en même temps sur l’archipel, cette plage se voit bloquer son accès quotidien à un maximum de 100 visiteurs. A l’image de certains parcs marins du Mexique, il y est interdit d’introduire des crèmes solaires (qui causent l’anorexie des poissons due à des nanoparticules contenues dans les produits…), de marcher ou de rester plus d’un certain temps dans l’eau pour éviter de trop perturber la faune sous-marine. On l’aura bien compris : l’accès au site est donc réglementé, et après une bonne demi-heure de marche sur un sentier qu’il est interdit de quitter, il faut faire avec les consignes de Pedro, gardien de ce petit trésor d’aquarium taille XXL. Pedro, qui a vécu en France, rappelle les obligations et n’hésite pas à apostropher dans la langue idoine un baigneur debout au milieu du bassin naturel. « Pas de palmes, pas de lotion solaire sur soi, pas de chaussures, seul le masque et le tuba » sont autorisés au moment de contempler une multitude de poissons soldats à la livrée rouge, de gaterins à bandes jaunes, de poissons coffres et de demoiselles noires et vertes batifolant dans 1,5 mètres d’eau, une piscine naturelle bloquée par une barrière de corail. Incroyable de voir une telle richesse à portée de mains ! Un petit requin de récif s’offrant même la vedette en venant vous frôler… Magique ! Pedro m’expliquera que « si interdire est la phase ultime de la protection de l’environnement, il faut aussi faire prendre conscience au plus grand nombre de la richesse offerte par la nature. Et que cette richesse se doit d’être vue et partagée, autrement les gens ne pourront jamais comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là ». A méditer…

Toucher du doigt… Voilà en fait la recette et la formule magique offerte par Fernando do Noronha. Sentiers de randonnées balisés pour mieux observer la faune et la flore endémiques de l’île, plages paradisiaques où avec masques et tubas on peut croiser une raie ou une tortue à l’état sauvage, spots de vagues à géométrie variable pour les surfeurs en manque de tubes ou petit centre historique avec église typique et rues pavées rappelant que celles-ci ont été aménagées par des prisonniers de passage sur cet archipel : Fernando do Noronha vit aujourd’hui sereinement et ses quelque 2 800 habitants répartis sur les 17 km2 de l’île principale (l’archipel fait au total 26 km2) ont compris que la protection de la nature est aujourd’hui le cœur et les poumons de leur vie quotidienne. A l’image de ces enfants, qui avant de prendre l’avion pour aller faire leurs études sur le « continent » brésilien, seront passés sur les bancs de l’association Tamar, abréviation du nom des tortues Tartugas Marinhas, pour apprendre, comprendre et savoir que la protection de l’environnement est aujourd’hui une clé pour mieux appréhender l’avenir, tant dans sa dimension sociétale qu’économique. Rien à dire : Fernando do Noronha est aujourd’hui et encore un paradis… même si ce dernier doit être sous contrôle pour perdurer !