La restauration d’un bateau centenaire, qui plus est champion olympique, méritait bien un rendez-vous à la mesure de l’événement. C’est en tout cas ce qui a motivé le chantier lémanique de Corsier Port, propriétaire de Taifun, un 8m JI de 1911, à organiser début octobre une régate réunissant quelques-unes des plus belles unités classiques du lac.

Et le spectacle fut somptueux grâce à une météo complice et à la participation d’une belle brochette de quatre 8m JI classiques marconi plus récents, et à la présence de deux autres centenaires, le 2tx Calliope et le 3tx Calypso, et d’un presque centenaire, le 7m JI Endrick (voir le Skippers 41), gréement houari tous les trois.  Pour faire bon poids,  et accueillir le nouveau venu, un 30m suédois et un 15m2 SNS étaient également de la partie. Même le bateau-start, Ida, était d’époque puisqu’il a été construit aux chantiers Mégevet, ancêtre de Corsier Port, en 1910.

C’est que Taifun (gréement aurique) n’est pas un bateau ordinaire. Lancé en 1911 par le chantier Anker-Jensen, dessiné par Johan August Anker, l’architecte naval norvégien réputé dans le design des métriques (et créateur du Dragon), ce 8m JI première jauge avait un objectif : remporter la médaille d’or des Jeux olympiques de Stockholm en 1912. Pari gagné : Taifun s’imposait devant un bateau suédois, Sans Atout, dessiné par William Fife, et un bateau finlandais, Örn, dont la paternité revient également à Anker.

© DR
Des images de 1912 !

Heureux hasard : les deux copropriétaires du chantier de Corsier Port, Serge Patry et son complice de toujours Thierry Plojoux, ont réussi à dénicher un document d’époque d’une valeur inestimable : le film des régates de 1912, premières images jamais tournées sur une épreuve olympique. « Je me suis adressé au Musée olympique de Lausanne, précise Serge Patry, et j’ai eu la surprise d’apprendre qu’il avait en archives des images des régates de 1912,  et donc de Taifun. Je me suis alors empressé d’en demander une copie. » Copie que la centaine de personnes invitées au chantier pour la présentation de Taifun ont pu savourer lors du repas offert à Corsier Port. Moment d’émotion aussi, car Taifun est sans doute l’un des rares rescapés parmi tous ceux qui apparaissent à l’écran, hommes ou bateaux.

Taifun lors de la régate du centenaire, au large de Corsier. © José Albiol

Si l’histoire du bateau est pour l’instant, peut-être, peu documentée, il semble acquis que son propriétaire portugais – Taifun a été basé au Portugal des années 45-50 à 2007, date de l’achat du bateau par Corsier Port – n’a pas hésité à se lancer dans des navigations hauturières jusqu’au… Japon, d’où il serait revenu en solitaire, après un coup de gueule des équipiers. Une telle aventure n’étonne guère l’architecte naval Guy Ribadeau Dumas qui a participé de très près à la restauration de Taifun, en établissant notamment les plans du bateau pour la restauration : « Rappelons que ce bateau a été construit en Norvège. Il était donc parfaitement adapté à des conditions de mer exigeantes. De plus, Anker construisait solide : la pièce centrale du bateau était en teck, alors que d’autres chantiers préféraient l’acajou. C’est ce qui nous vaut de pouvoir encore admirer ce 8m JI aujourd’hui. Les qualités marines des métriques ne sont, d’autre part, plus à démontrer et je connais plusieurs 6m JI qui ont traversé l’Atlantique. Il suffit de quelques adaptations, c’est tout. »

Les plans d’origine patiemment refaits

Les plans de Taifun ayant disparu, Guy Ribadeau Dumas affirme s’être beaucoup servi des registres des Lloyd’s pour redessiner les formes d’origine et retrouver les échantillonnages des éléments constituant le navire. La restauration proprement dite a eu lieu à Corsier Port de 2009 à 2011, jusqu’à la mise à l’eau du bateau en juillet. « La restauration peut être qualifiée d’importante, relève l’architecte naval français, mais plusieurs pièces sont restées d’origine, comme l’ossature centrale, une partie des bordés, la plupart des membrures et des varangues. Le pont en teck, les superstructures, ainsi que les aménagements intérieurs sont, en revanche, totalement refaits. Le gréement et les voiles sont arrivés du Portugal en l’état et n’ont, pour l’heure, subi aucun changement. »

Taifun porte quelque 125 m2 de toile, au près. Il est prévu de retailler la garde-robe, héritée du Portugal. © DR

Dans sa belle robe bleu sombre, le nouvel ambassadeur du chantier de Corsier Port a fière allure. Il n’a certes pas remporté la régate dominée par les 8m JI de la jauge de 1935 – c’est Severn  qui s’est imposé –, mais il a fait bonne figure chez les centenaires. Le bateau sera très probablement visible ces prochaines années en mer et, peut-être, dès l’an prochain à Stockholm où les Suédois pensent organiser une régate pour le centenaire des Jeux olympiques de 1912. Un retour aux sources excitant que Serge Patry et Thierry Plojoux ne devraient pas rater.