Vous rêvez de naviguer une semaine aux côtés de François Gabart ou Michel Desjoyeaux ? La Mauritius Regatta est faite pour vous. Née dans l’Océan Indien – aux Seychelles précisément – et gérée rapidement par Régis Elhaouel, un professionnel de la publicité par l’objet, cette épreuve s’appuie sur un concept simple et percutant : inviter les meilleurs skippers à en découdre sur des multicoques de croisière et proposer aux plaisanciers passionnés de faire partie de l’équipage, le tout sur un plan d’eau de rêve. Cette année, c’est donc à Maurice que se sont retrouvés François Gabart, Michel Desjoyeaux, Dee Cafari, Franck-Yves Escoffier, Romain Attanasio et Harry Spedding. Rapides présentations : François vient de remporter le dernier Vendée Globe. Michel, alias le Professeur, l’homme aux 25 victoires, a gagné deux fois le Graal des solitaires qui virent les trois caps. Sans oublier trois premières places sur douze participations au Figaro, excusez du peu. Franck-Yves Escoffier, frère de Bob, est marin pêcheur devenu spécialiste du Multi 50. Dee Cafari est la seule femme à avoir bouclé le tour du monde en solitaire dans les deux sens. Restent les « maris de » – ça change des « femmes de » – qui savent tirer sur le bout de bois : Harry est l’époux de Dee, c’est un coach et préparateur physique très pointu, alors que Romain, discret compagnon de Sam Davies, a signé une belle première place avec Erwan Tabarly lors de l’Odyssée d’Ulysse Cannes-Istanbul en 2006. Soyons honnêtes : le plateau aurait pu être plus relevé encore : Armel Le Cléac’h, Samantha Davies et Roland Jourdain étaient attendus. Mais la Solitaire du Figaro, avancée très tôt en juin, les entraînements à Lanzarote pour la Volvo Race et autres grands rendez-vous de la saison ont perturbé le programme de ces têtes d’affiche.

Sous le regard du Morne…

Les voiliers retenus ne sont pas des sister ships mais des catamarans de croisière hétéroclites. On compte un Catana 471, deux Lagoon 440, un Leopard 46, un Nautitech 475 et enfin un plus petit Mahé 36. Les bateaux ne sont pas spécialement préparés. Pas d’hélices repliables ni de voiles en tissu haut de gamme, des réservoirs et des coffres pleins… Ils ont tout de même la carène propre. Il peut sembler étonnant de confier de telles unités à des skippers habitués à des engins surtoilés tout carbone. C’est un peu comme demander à Schumacher et Loeb de disputer un rallye en camping-car… Mais nos marins semblent jouer le jeu, bien contents de faire un break dans les eaux turquoises, invités avec leurs épouses. Les catamarans sont attribués aux marins et une journée de speed test est lancée. Le but ? Mesurer les écarts de vitesse pour établir des ratings – les plus justes possibles, bien entendu. La flotte est basée au mouillage, aux portes de la Balise Marina. Nous sommes au milieu de la côte ouest, à Rivière Noire, sous le vent des alizés qui soufflent de l’Est. L’ensemble immobilier bardé de pontons est l’un des tous premiers de l’île, mais le chenal n’est pas encore suffisamment large et dragué pour que nos bateaux s’y amarrent. Après une soirée de présentation des équipages, place à la régate ! Pour cette première journée, je prends place à bord du Catana 471 de François Gabart. Malgré un départ un brin poussif, le seul cata à dérives, plus léger et toilé que ses concurrents parvient à creuser l’écart. Nous virons une bouée à Tamarin, juste en face d’un fameux spot de surf. La barrière de corail est toute proche. Le spi est préparé pour un long bord de portant, jusqu’au Morne, tout au Sud de l’île. François est calme, posé. Les ordres sont précis et brefs. Avec sa femme Henriette, le dernier vainqueur du Vendée Globe savoure ses instants de quiétude tropicale. A vrai dire, il n’est pas « à fond ». On le comprend : depuis son arrivée triomphale aux Sables d’Olonne le 27 janvier dernier, il n’a pris que 10 jours de vacances et pourtant ne répond qu’à 5% des sollicitations. « Mon corps a tellement reçu d’émotions fortes que je n’ai pas encore récupéré de ma course, de mon arrivée. Là, je manque de pêche, de gnaque, donc de concentration », reconnaît-il, lucide. Amarré dans le lagon, François n’a qu’une hâte : tirer des bords en kite ! Il faut dire que l’un des meilleurs spots du monde de la discipline n’est qu’à trois milles du trampoline… A condition de caler moins d’un mètre – et de préférence à marée haute -, il est possible de découvrir un plan d’eau translucide autour de l’île du Bénitier. Un petit paradis de deux kilomètres de long pour l’instant inhabité – un projet de construction d’un hôtel de luxe fait polémique. Tout au Sud de Maurice, le Morne veille sur l’Océan Indien du haut de ses 550 m. Avant l’abolition de l’esclavage en 1835, de nombreux esclaves se sont déjà enfuis et vivent dans les hauts plateaux inaccessibles de l’île, dont celui du Morne. La légende dit qu’un suicide collectif massif aurait eu lieu sur cette montagne lors d’une traque menée par les maîtres et leurs chiens. Dans ce haut lieu chargé d’histoire – et classé au patrimoine mondial de l’Unesco – vous pourrez découvrir vestiges et villages des esclaves devenus libres et même leur cimetière, toujours théâtre de rites vaudou.

Le Professeur est toujours le boss

Deuxième étape. J’embarque à bord du Lagoon 440 de Michel Desjoyeaux. Le Professeur ne s’est pas dégonflé : il est bien là alors que son Figaro 2 l’attend à Pauillac pour l’ultime convoyage vers Bordeaux. Le skipper nous quittera un jour plus tôt… Michel est donc en préparation de son douzième Figaro – son kiné n’est pas loin. On ne le croirait pas, à le voir plaisanter depuis son poste de barre sur le fly bridge. Dès le top départ, vous avez compris qui est le boss ici. Toujours dans les bons coups, du bon côté du plan d’eau, il anticipe parfaitement les trajectoires de ses concurrents, les effets de côtes, le courant… et distance sans peine les autres catamarans. Au débridé, nous enverrons des dizaines de fois le gennaker pour le rouler à l’affaler quelques minutes plus tard. Tout l’équipage reste aux écoutes, tout le temps. Et ça marche ! Le Lagoon de Mich’ arrive premier loin devant les autres au pied de la sublime plage de Mont Choisy. Le plan d’eau est calme, l’eau est encore à 25°C en cette fin d’automne austral. Sur la plage chantent les haut-parleurs des camions à glace multicolores…

Pour le troisième jour de régate, je pose mon sac à bord du Nautitech 475 skippé par Dee Cafari. L’équipage ? Que des filles super girly avec leurs polos roses. Elles sont motivées à fond alors que leur bateau, il faut bien le reconnaître, n’est pas un foudre de guerre ; il a été considérablement alourdi à l’arrière par une poutre supplémentaire, des imposants bossoirs, un groupe électrogène etc. Bilan : les coques fines dessinées par Harlé/Mortain sont bien trop enfoncées pour espérer glisser en souplesse sur l’eau. Notre parcours du jour nous emmène tout au Nord de l’île. Là-haut, plus de protection de l’alizé et de la houle, l’Océan Indien reprend ses droits et le ressac lèche des îlots déserts et hostiles. Quelques mouillages idylliques bordés de sable blanc attendent les plus téméraires, ceux qui se lanceront dans un slalom entre les patates de corail. Mais par beau temps, le jeu en vaut la chandelle. Nous faisons escale à Grand Baie. L’ambiance est plutôt chic : boutiques de luxe, hôtels cosy et bars branchés donnent le ton, voilà un sympathique Saint-Tropez tropical plébiscité par de nombreux expatriés. Ici, les marins découvrent un excellent abri – quelques pontons mais surtout des corps-morts – et le seul Yacht Club de Maurice. Une quinzaine d’habitables régatent en IRC… Et les organisateurs de la Mauritius Regatta ont concocté une belle surprise aux plaisanciers locaux : les skippers, tirés au sort, vont barrer leurs voiliers ! Et c’est sous un crachin quasi breton – mais tiède tout de même, que les équipages vont en découdre. J’en profite pour visiter une ancienne rhumerie dont l’imposante architecture coloniale ne peut laisser indifférent pour rejoindre les ateliers d’Historic Marine, l’un des plus anciens constructeurs de maquettes de l’île Maurice. Ici, une soixantaine d’ouvriers assemblent des voiliers et des bateaux à moteur de toutes tailles et de tous types, du Riva au Queen Mary en passant par des bateaux de jauge et des unités sur mesure – lesquelles sont réalisées parfois grâce à de simples photos.

Cape Town miniature

Les choses sérieuses reprennent, nous sommes jeudi, et c’est Romain Attanasio qui m’accueille à bord de son Lagoon 440 – soit un sister ship du bateau de Mich’Dej’. Ce dernier, privé de son gennaker, parvient tout de même à tirer son épingle du jeu et résiste à nos attaques – nous disposons d’un spi asymétrique plus grand. Et c’est une poignée de secondes qui nous manquent à l’arrivée de l’étape, devant Port Louis. La capitale de Maurice, depuis la mer, se donne des airs de Cape Town miniature… Mais c’est tout de même une ville de 150 000 habitants congestionnée par la circulation automobile et animée par des marchés attrayants. A découvrir également : la mosquée et l’History National Museum. Port Louis est également réputée pour ses hivers particulièrement doux : même en juillet – nous sommes dans l’hémisphère Sud, rappelons-le – la température ne descend jamais en-dessous de 18°C. C’est ici qu’Hervé Laurent – ancien coureur au large à la carrière plus que remplie avec deux tours du monde et 40 transats – s’est installé. Après un repérage, le skipper est tombé sous le charme : « J’ai découvert un terrain de jeu top pour naviguer, mais pas de bateau. Les enfants naviguent gratuitement en France au bord de la mer, pourquoi pas à Maurice ? » Hervé recherche des bateaux périmés, en déniche 30 et convainc un sponsor. Il crée une ONG, Sailing pour Tous, basée à Port Louis. « On fait naviguer 80 gamins par semaine », se félicite le marin. Hervé est persuadé que la plaisance va décoller à Maurice, même si pour l’instant les seules infrastructures portuaires opérationnelles et le vrai trou à cyclone sont ici, à Port Louis. « Depuis que le passage par la Mer Rouge est interdit ou presque, analyse Hervé, beaucoup de bateaux font escale à Maurice pour quelques mois. Le port et les mouillages sont sûrs et les possibilités de chantiers importantes. » Hervé, régulièrement sollicité pour débrouiller les problèmes techniques, a lancé une société de service, Alizé Portant, pour répondre à ces demandes.

Notre dernière étape nous reconduit, cap au Sud, vers Rivière Noire, notre point de départ. Je navigue avec Franck-Yves Escoffier à bord d’un costaud Leopard 46. Le sympathique malouin est décontracté et savoure ces dernières heures de soleil sous l’alizé… Sûr que l’ancien marin pêcheur a connu pires conditions chez lui sur la Manche, à Saint-Malo !

Pour cette dernière journée, c’est un autre Michel – le propriétaire du bateau – qui a remplacé Mich’ qui s’est envolé pour Paris et Bordeaux pendant la nuit. Le skipper amateur se débrouille plutôt bien mais doit tout de même laisser la première marche du podium à François Gabart. Et pour la petite histoire, le Professeur termine 7e, une place devant Armel Le Cléac’h. De là à dire que le Chacal aurait dû venir s’entraîner dans le lagon mauricien…