© Brice Lechevalier
En quoi la navigation sur D35 vous a-t-elle surpris ?

C’est toujours amusant, même sans gagner ! Pendant la Genève-Rolle, nous étions à un moment en avant-dernière position des D35, avec juste Veltigroup derrière nous, mais le fait de voler sur une coque nous donnait le sourire, y compris à Torbjörn*. Il y a des bateaux comme le 49er avec lesquels tu t’amuses en dépit du fait que tu ne fasses pas partie des premiers, c’est le cas du D35. Il est très agréable à naviguer et permet d’aller vite, même avec très peu de vent. J’ai trouvé sa conception très intelligente et sa réalisation très réussie : il pèse une tonne mais sa coque centrale le rend très rigide, son exécution est bien aboutie, il se passe toujours quelque-chose, c’est un bateau très vivant.

 

Comment gérez-vous votre programme très intense entre les AC45, les D35, les Extreme 40 et les RC44 ?

Il faut tout d’abord être extrêmement bien organisé et bien se répartir les rôles ! Nos attributions sont claires avec Terry Hutchinson car on ne peut pas tout faire et être partout à la fois. La gestion du défi pour la 34e America’s Cup me donne énormément de travail, surtout avec tous les changements qui sont intervenus depuis début juin et notamment notre nouveau rôle de Challenger of Record. Heureusement que les régates tombent le week-end car le reste de la semaine je dois me concentrer sur l’avancée de notre défi.

© Chris Schmid - Eyemage Media

 

Qu’est-ce qui est le plus dur à gérer ?

L’ensemble est très compliqué : l’America’s Cup passe de l’univers du monocoque à celui du multicoque dont nous devons découvrir toutes les subtilités, les World Series qui la précèdent impliquent des efforts d’organisation et de logistique, et il faut construire deux gros bateaux de 72 pieds d’un niveau de technicité très élevé. Chacune de ses pièces majeures correspond à la complexité d’un bateau normal, donc avec deux coques et trois ailes c’est un peu comme si on devait construire cinq bateaux ! A cela s’ajoute le programme en D35, qui vient renforcer nos compétences en multi mais qui s’explique aussi par le fait que Torbjorn habite Genève et que le Vulcain Trophy lui permet de pratiquer sa passion plus facilement. Nous avons d’ailleurs vendu le TP52 sur lequel il naviguait auparavant.

 

Comment avez-vous réagi en apprenant qu’Artemis devenait Challenger of Record ?

En fait, le Challenger of Record n’a plus toutes les obligations qui lui incombaient dans le passé, telles que l’organisation des sélections, des régates, les relations avec les sponsors etc… L’America’s Cup dispose maintenant d’une gestion centrale et il s’agit surtout de coordonner le travail avec tout le groupe, y compris le Defender, afin de trouver les bonnes solutions pour l’événement. C’est ainsi que depuis début juin nous avons redéfini un certain nombre de règles, et que tous les changements apportés l’ont été au détriment des grandes écuries (Artemis Racing, BMW Oracle, Team New Zealand) et à l’avantage des petits défis. Nous avons par exemple décidé d’étendre la période d’utilisation des AC45 et leur tour, en repoussant donc l’arrivée des AC72 et en limitant la durée de leur circuit, afin de permettre aux petites équipes de trouver le budget nécessaire. Artemis Racing a poussé les discussions dans ce sens-là, mais j’en parlais déjà avec Russell Coutts fin mai pendant une épreuve de RC44 en Autriche : la réalité est très différente pour nous deux qui avons la chance d’être soutenus par des passionnés de voile très fortunés, et des gens comme les frères Peyron qui doivent trouver le financement de leur projet.

 

Qu’aimeriez-vous pouvoir faire évoluer ?

Dans le cadre de la 34e America’s Cup, on ne peut pas vraiment faire plus. Son format rejoint le concept de World Sailing League que l’on avait imaginé avec Russell il y a 5 ans pour rendre la voile attrayante auprès d’un public qui ne la connait pas bien. Je pense que des bateaux rapides qui filent sur une coque dans une baie ou des parcours près du bord, lors de régates qui ne durent pas plus deux heures mais 35-40 minutes, offrent toutes les chances de faire venir à la voile beaucoup plus de gens, et notamment de jeunes. Il faut savoir séduire. Cette fois, nous avons l’opportunité d’aller dans cette direction et nous allons nous battre pour y parvenir.

 

A combien estimez-vous le nombre d’AC72 au final ?

A mon avis, il y en aura six.

 

Quelles sont vos chances face à Oracle ?

Je pense qu’aujourd’hui les trois gros teams se valent. Il se peut qu’Oracle bénéficie d’un léger avantage, je situerais leurs chances à 40%, et 30% pour Team New Zealand et pour nous.

 

Que pensez-vous du circuit des MOD70 ?

J’aime bien le concept, c’est une bonne idée, si je n’étais pas déjà pris dans la Coupe je m’y intéresserais.

 

Comment décririez-vous l’univers de la voile suisse ?
© Chris Schmid - Eyemage Media

La Suisse possède une culture du multicoque qui lui est propre et qui est très bien implantée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle mon architecte naval Juan Kouyoumdjian** m’accompagne à Genève. Son identité se distingue de celle de la culture française du multi, qui vise le large. Ici l’esprit est exactement celui de l’America’s Cup, il faut des bateaux légers et très raffinés. Prenons l’exemple du Décision 35 : c’est un bateau de série mais très high-tech, avec des daggerboards asymétriques, beaucoup de finitions très poussées. Pour un pays qui n’a pas de mer, la Suisse offre un niveau de voile très évolué.

 

*Torbjörn Törnqvist, propriétaire d’Artemis Racing, vainqueur de l’AudiMedCup en 2007 en TP52, des courses en flotte en RC44 en 2009, initiateur du défi suédois pour la 34e Americas’ Cup

** également architecte du 60 pieds de Bernard Stamm