© Chris Cameron
Pouvez-vous nous expliquer comment s’est déroulé votre recrutement chez ETNZ ?

De manière assez simple en fait. Ça faisait quelque temps que j’observais les équipes, pour voir si des opportunités de collaborations pouvaient se profiler. Pour être franc, ni Artemis, ni Oracle ne me semblaient très tentant. Vu mon intérêt pour le multicoque, je me suis rendu en octobre 2010 à Newport, à l’occasion de la petite Coupe America disputée en Classe-C, pour voir les ailes rigides. J’ai eu l’occasion de rencontrer des responsables d’ETNZ à cette occasion et ils m’ont proposé de les rejoindre.

Quel est votre rôle exact dans l’équipe ?

Mon travail est similaire à celui que je faisais chez Alinghi, soit m’occuper d’analyser et optimiser la performance. En gros, je m’occupe de faire le lien entre le design-team et le sailing-team. Ce métier n’existait pas forcément il y a dix ans et Russell Coutts a largement contribué à son émergence, en tout cas dans son équipe. Il faut savoir que les navigateurs ne parlent pas toujours la même langue que les designers. Ma tâche est de traduire le ressenti des régatiers en termes exploitables par des ingénieurs.

© Gilles Martin Raget
ENTZ versus Alinghi ! Travaillez-vous d’une manière différente entre les deux équipes ?

Non pas vraiment. Pour moi c’est presque une continuité. D’une part, il y avait une forte consonance néo-zélandaise au sein d’Alinghi, même s’il s’agissait d’une équipe internationale. D’autre part, on constate que, sans considérer la 33ème édition qui est à part, ce n’est pas pour rien si Alinghi et ETNZ se sont retrouvés en confrontation directe pour la Cup. On peut donc dire que les méthodes se ressemblent. Il y a bien sûr des accents qui sont un peu différents. L’équipe actuelle est peut-être un peu plus sobre dans sa globalité. Il y avait un côté un peu plus festif, sans aucune connotation péjorative, chez Alinghi.

Quid des moyens ? Est-ce que le fait de ne pas avoir un budget bouclé se ressent dans votre travail, toujours en comparaison avec Alinghi ?

Nous avons le budget qu’il faut pour faire notre mission et le travail de Grant Dalton et son équipe, qui ont trouvé des ressources pour garantir le fonctionnement de notre équipe, doit être salué. Nous sommes les seuls à ne pas avoir recours à des fonds privés. Pour revenir aux conditions, il y a évidemment une différence. Chez Alinghi, nous savions qu’il y avait toujours la possibilité de demander un budget complémentaire, ou une petite rallonge, si nos conclusions démontraient qu’il y avait un intérêt à aller plus loin dans un domaine. Aujourd’hui, c’est plus difficile, le budget est là mais il est beaucoup moins extensible. Notre marge de manœuvre est plus faible.

À ce stade des travaux, que pouvez-vous nous dire sur les particularités des AC 72 ?

Je ne vais pas vous dire ce que nous développons mais ce que je peux dire, c’est que nous faisons des choses que nous n’aurions pas osé imaginer il y a quelques années, et que ça va vraiment surprendre les gens. Le monde du multicoque n’a jamais bénéficié d’autant de ressources qu’actuellement. Avant que la Cup se déroule en multi, je pense qu’un cycle de développement prenait environ 2 ans. Ce qui veut dire qu’il fallait à peu près ce laps de temps entre la naissance d’une idée et sa phase de test. Aujourd’hui, ce cycle est réduit à un ou deux mois. On a donc fait en trois ans ce qu’on faisait en vingt. C’est énorme. Notre design-team compte 20 personnes et nous sommes environ 60 à plein-temps. C’est considérable et ça permet de faire des progrès très importants.

© Gilles Martin Raget
Quel regard posez-vous sur l’évolution de l’America’s Cup, en dehors de votre rôle dans l’équipe ?

Je suis un fan et un adepte du multicoque. Mon regard ne peut donc être que positif. Je crois en fait que nous sommes dans une suite logique. Il n’était plus possible de disputer la rencontre la plus importante de la voile mondiale sans évoluer sur les bateaux les plus rapides. Ce monde a changé et je crois que c’est dans le bon sens. Les bateaux sont devenus très physiques et vont très vite. Ça n’a plus rien à voir avec les duels en monocoques, durant lesquels seuls quelques passages de bouées étaient vaguement spectaculaires. Je pense que le développement actuel peut amener de nouveaux partenaires à s’intéresser à la voile. Jusque là, ce sport était réservé au monde du luxe et à l’institutionnel. Aujourd’hui, je pense que d’autres domaines, plus dans la tendance du moment, vont venir à la voile grâce à ce regain de dynamisme.

En ce sens, combien de bateaux doit-on attendre selon vous ?

Je crois que c’est assez clair. Il y aura quatre, voire cinq concurrents. Cette édition est clairement plus chère que les précédentes. Il y a des tonnes de carbone à mettre en œuvre, plus du double que sur les anciens monocoques. Cela dit, la situation n’est pas fondamentalement différente des précédentes éditions d’un point de vue sportif. Car si nous avons eu la chance d’avoir dix ou douze concurrents à Auckland et Valence, il n’y a toujours eu que trois ou quatre équipes réellement dans la course. L’inconnue était surtout de savoir si un outsider pouvait créer la surprise et se profiler en demi-finale. Ce qui change pour cette fois, c’est que les petites équipes ne sont pas là.

Finalement, quelles sont vos chances face au géant Oracle et à l’avance technologique qu’on lui prétend ?

Nous sommes là pour essayer de gagner. En tout cas, c’est l’impression que ça donne vu de l’intérieur ! Nous avons une équipe qui a tout-à-fait le potentiel d’aller jusqu’au bout, avec beaucoup de motivation et de talents. Nous sommes dans le coup sur l’eau avec les AC45. Et le design-team a travaillé très dur l’année passée, dans tous les compartiments du jeu. Nous faisons des avancées tout les mois et c’est ce qui compte. Maintenant, est-ce que ça suffira pour battre Oracle ? Il faudra d’abord gagner notre place lors de la Louis Vuitton Cup. Ensuite on verra bien !