Vous allez vous mettre en stand-by pour une tentative de record autour du monde dès le 1er novembre. Quel est votre programme d’ici là ?
Nous avons quelques navigations de validations prévues ainsi qu’une série d’entraînements en septembre avec l’équipage définitif du tour du monde. Après ça, l’essentiel du travail va être axé sur la préparation de l’avitaillement. Nous sommes trois à gérer cette tâche complexe et déterminante dans une tentative comme le Trophée Jules Verne. Il y a environ 600 kilos de nourriture qui doivent être conditionnés, étiquetés, rangés. S’agissant d’un bateau au comportement très dur, chaque détail compte. Les sacs sont sans arrêt matossés, ils ne doivent pas s’abîmer et il est primordial de pouvoir retrouver ce qu’on cherche à tout moment. Nous avons travaillé en amont avec une nutritionniste pour élaborer les menus, qui sont tous listés. Nous sommes 14 à bord et partons pour 48 jours, aucune faille n’est donc permise.

Vous évoquez un comportement de bateau assez dur, pouvez-vous nous donner des précisions sur cet aspect ?
Personne ne peut imaginer ce que ça représente. Un trimaran de 40 mètres qui évolue entre 35 et 40 nœuds sur une mer formée est un peu comme une moto de grand prix qui roulerait à 200 sur un terrain accidenté. Quand on est couché sur la bannette, on a les intestins qui bougent dans le ventre tellement les chocs sont violents. Chaque fois qu’il faut envoyer un équipier à l’avant, nous devons par exemple ralentir le bateau. Nous avons mis en place des consignes très strictes à ce niveau. Nous soignons donc beaucoup la question de la vie à bord pour pouvoir endurer ces contraintes.

Le bateau vient de sortir d’un chantier important, quelles sont les modifications majeures qui ont été réalisées ?
Nous avons travaillé essentiellement sur les aménagements intérieurs. De nombreux petits détails peuvent contribuer à améliorer la vie à bord. Il faut comprendre qu’un bateau comme celui-ci est très exigeant et qu’il faut être vraiment concentré quand on est sur le pont. Il s’agit d’un multicoque surpuissant avec lequel on ne peut pas faire n’importe quoi. La récupération de l’équipage est donc primordiale pour que tout le monde puisse toujours être à 100% de ses capacités. Nous avons pour cette raison réfléchi à tous les détails qui peuvent rendre la vie à bord plus agréable. Ces détails passent du séchoir à bottes, aux armoires à cirés en passant par un urinoir qui nous permet de nous soulager à l’intérieur sans utiliser les WC peu pratiques. Ces points qui peuvent ressembler à des détails futiles ont en fait une importance assez déterminante sur la durée.

Certains médias ont critiqué le fait que vous ne soyez pas partis pour cette tentative l’hiver dernier, quelle est votre position sur ce point de vue ?
Si nous ne sommes pas partis c’est parce que nous n’avions pas les contraintes de Groupama 3 qui devait absolument boucler sa campagne avant les modifications du bateau en vue de la Route du Rhum. Notre bateau est plus récent, encore en phase de mise au point, et notre programme était déjà très chargé. Entre la Route de la Découverte, l’Atlantique Nord et la Méditerranée, nous n’avons pas arrêté. Il y a eu beaucoup d’attente et de perte de temps dues à la météo. Nous étions prêts le 15 novembre et Groupama avait déjà largué les amarres dans une première fenêtre. Ensuite, on s’était fixé deux jours d’avance au Cap de Bonne Espérance sur le précédent record pour partir. La situation ne s’est jamais confirmée pendant toute la durée du stand-by. La suite on la connaît… Cela dit, nous avons peut-être appris qu’il ne faut pas être trop gourmand et qu’il faut prendre la première fenêtre qui se présente car on ne sait jamais ce qui peut se passer sur le reste de la saison. C’est ce que nous comptons faire dès le mois de novembre, d’autant plus que les périodes de veille sont très pénibles à vivre, on ne peut rien envisager, ni personnellement ni professionnellement. C’est toutefois notre choix, et la vie de chasseur de record n’est pas réputée pour être simple.


Toujours dans le registre des médias, nous évoquions dans ce magazine que Banque Populaire était un projet qui mettait l’accent sur la machine alors que Groupama 3 aurait favorisé les compétences de l’équipe. Que répondez-vous aujourd’hui ?

Franck Cammas a fait appel à un équipage au palmarès exceptionnel et à de fortes individualités, c’est un fait indéniable. L’approche est probablement différente sur Banque Populaire et le recrutement s’est davantage déroulé sur la capacité à construire une équipe soudée composée de spécialistes de différents horizons (Figaro, Vendée, JO, IMOCA). Je défends donc la compétence de notre équipe qui n’a rien à envier à celle de Groupama 3. Nous avons des régatiers purs en plus de coureurs au large, c’est important dans une dynamique de record. Par ailleurs, nous disposons d’une machine différente qui correspond plus à un choix global qu’à un bateau beaucoup plus performant. Cammas aurait très bien pu construire un bateau de 40 mètres et recourir aux mêmes personnes.

Vous attaquez cette tentative un an après le succès de Stève. Vous avez tous deux une position de chef de quart. Doit-on voir une concurrence de frères dans vos carrières respectives ?

Si nous étions en concurrence, nous serions encore en train de naviguer dans la baie de Morges (sourire) ! Sérieusement, nous faisons le même programme sur deux projets de top niveau à peu près au même moment. C’est juste une chance énorme. Nous sommes tous les deux contents d’avoir ces opportunités, il n’y a rien à chercher de plus.