Céline Elmiger, à l’initiative du projet. © DR

Nous les connaissons tous, ces vieux qui, depuis leur bateau à moteur, observent les événements sur l’eau d’un air sévère et dont les coups de sifflets intempestifs font brutalement monter le taux d’adrénaline des régatiers. La juge nationale Céline Elmiger ne colle pas vraiment dans ce cadre. Elle est jeune, féminine, communicative et toujours souriante. Lors des régates juniors, on la voit souvent entourée d’une ribambelle d’enfants. Elle profite en effet des pauses causées par l’absence de vent pour leur expliquer certaines règles de course. Céline est représentative d’une génération d’arbitres qui entretient un autre rapport avec les navigateurs. « Je ne veux pas que les enfants craignent le jury. Ils doivent comprendre que chaque compétition a besoin d’un arbitre qui garantit le respect des règles. Il ne doit pas être leur ennemi, mais leur partenaire. Sur l’eau, je suis très stricte, mais après la régate, je cherche le contact avec les navigateurs pour leur expliquer et justifier mes décisions. »

La fonction des arbitres ne se limite pas à sanctionner les violations de règles, ils doivent aussi discuter avec les régatiers. © DR

C’est un coup du sort qui a amené la quadragénaire à se lancer sur la voie de l’arbitrage. Une blessure au genou avait mis un terme à sa carrière de régatière. Pour continuer à suivre son compagnon actif dans la voile, elle cherchait à établir un contact avec les officiels. Un jour, alors qu’elle assistait à une régate en Martinique, elle demanda aux responsables de collaborer avec le jury. Sa demande fut acceptée. C’est là qu’elle rencontra les personnes qui lui montrèrent comment un jury doit fonctionner. Depuis lors, Céline Elmiger a suivi toutes les formations nécessaires. Aujourd’hui, elle est plébiscitée en Suisse et à l’international. L’année dernière, elle a notamment fait partie du jury des Voiles d’Antibes, de la Route du Rhum et des Régates Royales de Cannes. « En France, il y a beaucoup plus de protestations qu’en Suisse », raconte-t-elle. Peut-être que nous sommes trop indulgents et gentils. Là-bas, les négociations se déroulent le plus souvent sur l’eau, c’est rapide et efficace. »

La France comme exemple

En Suisse, c’est généralement à la fin de sa carrière de navigateur qu’on vise un poste d’officiel. Pour Céline Elmiger, c’est beaucoup trop tard. Selon elle, il est important que les navigateurs et les officiels échangent leur rôle très tôt pour pouvoir se mettre dans la peau de l’autre. La France montre l’exemple. Dès 14 ans, les régatiers y sont formés pour devenir des arbitres, umpires ou directeurs de comité de course. En Suisse, on pourrait imaginer une approche similaire. Cette relève pourrait alors intervenir dans les régates des séries juniors où elle serait encadrée par des responsables de Swiss Sailing expérimentés et possédant les notions didactiques nécessaires. C’est en tout cas le but du projet « Youth Officials », initié par Swiss Sailing, qui rencontre d’ores et déjà un écho très positif.

Marc Knöpfel, le Chef du Département régate chez Swiss Sailing, est un fervent défenseur de cette initiative puisque non seulement elle encourage la relève chez les officiels, mais permet aussi d’améliorer le niveau des jeunes navigateurs en approfondissant leur connaissance des règles et en améliorant leur compréhension des activités du comité de course. Alberto Casco, le président de Swiss Optimist, est lui aussi convaincu par le projet : « Auparavant, nos jeunes perdaient 95 % des contestations parce qu’ils ne connaissaient pas assez les règles. » De plus : « Un jeune navigateur connaît toutes les combines utilisées sur l’eau et sait à quoi il doit être attentif, en tout cas mieux que quelqu’un qui n’a plus disputé de régates depuis des décennies. Nous devons tous être sur un pied d’égalité. Actuellement, nous avons les meilleurs entraîneurs du monde et plusieurs acteurs de classe mondiale. Nos officiels devraient pouvoir atteindre ce niveau. »

Le projet pilote est lancé

Swiss Optimist et Swiss Sailing ont attribué un budget à ce projet et en ont confié la direction à Céline Elmiger. Le projet pilote sera lancé fin avril à la Coupe d’Europe des Laser à Lugano. D’ici là, il reste encore quelques interrogations et difficultés à résoudre. Le problème majeur sera certainement de motiver les jeunes à investir encore davantage de leur temps libre, sachant que celui-ci est déjà très limité par les entraînements et les régates qui grèvent aussi leur formation. Il y a un gros travail de conviction à faire, mais ceux qui connaissent Céline Elmiger savent qu’elle possède le charisme nécessaire pour susciter l’engouement chez les jeunes athlètes. En tout cas, il y a d’ores et déjà assez de candidats pour la phase pilote.